G comme gasse

Comme l’Adrienne était passagère et s’asseyait à l’arrière de l’auto, chose qui n’arrive que très rarement, au moment de claquer la portière il lui est revenu une petite phrase que disait son père avant de démarrer, quand la mère et les deux enfants étaient installés: « Fermez les gasses! »

Mini-Adrienne a toujours pensé que ce mot-là aussi, tout comme goulaf, lui venait du temps de son service militaire à Spa, où il a appris à conduire, et que son origine était wallonne.

Elle n’a jamais eu l’idée de lui demander d’où il le tenait, il était unanimement compris et accepté dans le sens « fermez les portières ».

Il était donc temps de consulter un expert ès wallon, qui suppute une origine plutôt germanique.

N’est-ce pas que c’est beau le mystère des langues et du voyage des mots 🙂

P comme pieux

L’Adrienne était en route pour Ostende quand les premières notes se sont fait entendre.

« Petite fleur » a-t-elle murmuré.

C’est là qu’elle a entièrement compris pourquoi Marguerite Yourcenar a donné comme titre au premier tome de son œuvre autobiographique, celui où elle évoque son côté belge, maternel, « Souvenirs pieux« .

Il y a une forme de piété à perpétuer le souvenir d’un défunt.

« Petite fleur« , c’est un souvenir très ancien, qui avait fort frappé mini-Adrienne vers ses huit ans: il y avait quelque chose de particulier dans le ton et la voix de son père, lui semblait-il, quand dès les premières notes il disait « Petite fleur« .

Elle en avait conclu que c’était une musique importante pour lui et avait fait de son mieux pour être capable elle aussi de la reconnaître dès les premières notes.

F comme Frutti

D’abord, parlons du père, le point de référence, le dictionnaire, l’encyclopédie, le wikisaitout jusqu’à l’adolescence de l’Adrienne.

C’est sûrement de lui qu’on tient cet amour des langues et des mots.

Tutti frutti, par exemple, a dû être la première chose jamais entendue en italien.

Glace tutti frutti, disait le menu, les amis avaient dû trouver que ça faisait plus gastronomique en italien.

Ce qui n’avait pas empêché mini-Adrienne d’être déçue : les frutti en question étaient confits, résistaient sous la dent et coloraient vaguement de vert et de rouge la blancheur de la glace.

Ensuite, parlons du beau-père, le point de référence pour une autre sorte de fruits, les frutti di mare, avec ses opinions bien arrêtées sur la hiérarchie des vrais bons produits de la marée:
La langoustine et le crabe sont meilleurs que le homard.
Les crevettes grises sont une délicatesse.

Amen.

Les goûts, ça ne se discute pas!

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Écrit pour l’Agenda ironique de janvier, proposé par Tiniak – merci à lui – qui demandait un minimum de 150 mots (ce que j’ai fait, exactement, ci-dessus) et un maximum de 223 (ce que vous trouverez exactement ci-dessous).
Parmi les mots imposés, il y a frutti di mare, tutti frutti, marée, crabe et amen.

En illustration, une photo prise à Ostende d’un de ces derniers petits bateaux qui sortent le soir et rentrent au petit matin avec la pêche de la nuit et les crevettes cuites à bord.

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D’abord, il faut parler du père, point de référence, dictionnaire, encyclopédie et wikisaitout jusqu’à l’adolescence de l’Adrienne.

Après bien sûr on découvre d’autres sources de savoir et on arrive à cet âge bête où on croit qu’on en sait au moins autant que lui.

On le consulte encore, parce qu’on sait que ça lui fait plaisir.
Parce qu’on l’aime.

C’est sûrement de lui qu’on tient cet amour des langues et des mots.

Tutti frutti, par exemple, a dû être la première chose jamais entendue en italien.

Bombe glacée tutti frutti, disait le menu, les amis avaient dû trouver que ça faisait plus gastronomique en italien.

Ce qui n’avait pas empêché mini-Adrienne d’être déçue : elle ne voyait pas le rapport avec une bombe et les frutti en question étaient confits, résistaient sous la dent et coloraient vaguement de vert et de rouge la blancheur de la glace.

Ensuite, il faut parler du beau-père, le point de référence pour une autre sorte de fruits, les frutti di mare, avec ses opinions bien arrêtées sur la hiérarchie des vrais bons produits de la marée, celle de la nuit précédente, cela va sans dire:
– la langoustine et le crabe sont meilleurs que le homard
– les crevettes grises de la mer du Nord sont une délicatesse unique au monde.

Amen.

Les goûts, ça ne se discute pas

Stupeur et tremblements

Laissons là pour une fois toutes les causes de stupeur et tremblements fournies par l’actualité et revenons à la généalogie.

En 1619, quand Nicolas Aerts et son épouse font baptiser leur fils, le curé qui note les noms est soit dur de la feuille, soit fort distrait, il inscrit le nom Orts.
Ou Ots, ce n’est pas vraiment clair.

Quand le fils à son tour fait baptiser un enfant mâle, le curé, aussi gâteux ou aussi taquin que son prédécesseur – on est toujours dans la même paroisse bruxelloise – note le nom de famille Lot.
Ou Lots.
On n’est plus à un détail près.

En 1676, même paroisse, même lignée, cette fois la descendance est inscrite sous le nom de ‘De Lo’.

Au début du 18e siècle, De Lo est devenu Dulot.

Puis Dello.

Bref, voilà des gens qui ont changé de nom à chaque génération 😉

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Par bonheur pour l’Adrienne, le fil qui fait remonter la petite Ivonne – vingt-trois ans sur la photo et enceinte de son second enfant à l’été 1927 – à ses lointains ancêtres bruxellois est moins tortueux: juste parfois un H en trop ou un s en moins 😉

Adrienne se souvient

Combien d’années ont passé depuis la dernière fois que l’Adrienne a entendu son père chanter ce Rorate coeli, difficile à dire, mais de gros, gros paquets d’eau ont coulé sous les ponts, depuis.

Et pourtant!

A la première note elle se retrouve dans l’ambiance de ces célébrations du temps de l’Avent, avec le froid de l’église, la dureté des chaises, les odeurs d’encens, les bougies qu’on allume… et ces voix d’hommes venant du jubé, lieu mystérieux où la petite fille n’a jamais eu le droit de monter.

Bon anniversaire à tous ceux qui sont nés un 2 décembre 🙂

F comme fan!

Les parents consternés étaient assis face à monsieur H*rb**rt, l’instituteur de leur fils :

– Il faudrait qu’il lise, disait-il. Il est intelligent mais il n’apprend pas ses leçons. Et il ne lit pas.

Il le leur a encore bien répété quand ils ont pris congé de lui, croyant sans doute que si le goût de la lecture venait, celui des études suivrait :

– Il faudrait qu’il lise !

Qu’il lise, oui. Mais quoi ? La seule lecture qui intéresse cet enfant, c’est le résumé en quelques chiffres de la carrière des footballeurs de division 1 belge, dans ses albums Panini. Il est incollable sur leur taille, leur poids, le nombre de buts marqués et les divers clubs par lesquels ils sont passés.

Le père ayant grandi avec les albums de Tintin, la mère avec la Semaine de Suzette, c’est donc tout naturellement qu’ils ont fondé leurs espoirs dans la BD. Ils ont acheté une grande armoire laquée de jaune et elle s’est rapidement remplie de tout ce qu’il y avait sur le marché : Michel Vaillant, Gaston Lagaffe, Astérix et Obélix, Lucky Luke, Spirou et Fantasio, Boule et Bill, Tif et Tondu, Blake et Mortimer, Yoko Tsuno, Les Tuniques bleues, Benoît Brisefer, Blueberry, l’Agent 212, Achille Talon, Johan et Pirlouit, les Schtroumpfs, le Marsupilami (liste non exhaustive) et bien sûr le journal Pilote ainsi que tous les albums de Spirou et de Tintin.

Ceux qui dévoraient toutes ces saines lectures avec délectation, c’étaient le père et la grande sœur : ce n’est rien de dire qu’ils étaient à la fête 🙂

Peu à peu leur langage familial s’est enrichi de mots et de petites phrases sortant tout droit de leurs albums préférés, à commencer par le M’enfin ! de Gaston. Ils ne disaient plus ‘le thé’ mais ‘de la chaude eau’. Ils ne disaient plus ‘là, c’est stationnement interdit’ mais ‘sucette géante!’. Tout repas copieux recevait l’exclamation ‘c’est frugal’, tout avis différent recevait un ‘ils sont fous ces Romains’, tout ronchon devenait scrogneugneu.

Les injures du capitaine Haddock étaient des cadeaux du ciel grâce à leur inépuisable variété et leur forte expressivité, tout en restant parfaitement innocentes. Ils ne s’en privaient pas!

Seul le rongtudju de Prunelle était interdit par la mère, ce qui lui donnait évidemment une saveur supplémentaire.

– Mais si ! Je peux le dire ! Puisque c’est dans le livre ! affirmait le petit frère de son air le plus candide.

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Texte écrit pour le Défi 736 où Walrus – merci à lui – proposait le mot scrogneugneu.

Y comme Y a qu’à pédaler!

A l’amie qui lui envoie un extrait d’émission télé répondant à la question « comment économiser sur le chauffage », l’Adrienne répond « Donc, y a qu’à pédaler », vu que la dernière recommandation consistait en l’acquisition d’un petit engin permettant de pédaler-pour-se-réchauffer alors qu’on est assis à travailler à son bureau.

Vous aussi, probablement, en avez marre de ce genre de conseils, tous bons à jeter, car soit vous les appliquez déjà depuis longtemps, soit ils sont plus ridicules qu’efficaces.

En Italie aussi on s’est bien gaussé du Corriere della sera quand on y a relayé la « recette » d’un prix Nobel pour cuire les pâtes sans se ruiner en gaz: ça s’appelle la « cottura passiva« , ce qui veut dire qu’on éteint le gaz dès l’ébullition. Et qu’on met le couvercle.

Bon, c’est vrai que les pâtes se ramollissent quand on les laisse dans l’eau, mais essayez et vous verrez: le résultat n’est pas top top.

Comme disait un des lecteurs, si tu gardes deux ou trois rigatoni en bouche pendant assez longtemps, ils finissent aussi par se ramollir…

Bref, les ventes de vêtements chauds montent déjà en flèche alors que d’habitude on arrive aux soldes de janvier avec des rayons encore pleins, à cause de l’hiver trop doux qui n’a incité personne à aller au portemonnaie.

Et l’électricien qui doit venir installer une nouvelle prise chez l’Adrienne ne trouve pas une minute pour le faire: depuis l’été il passe sa vie sur les toits à installer des panneaux solaires.

D’où le choix de l’illustration, une des (très) rares photos du père pendant la guerre de 40, avec son vélo… et avec son manque de tout, nourriture et charbon 😉

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Pour ceux qui comprennent l’italien, il y a aussi Stefania qui vous explique comment économiser l’énergie en utilisant une couverture: vous arrêtez le gaz à mi-cuisson, vous emballez votre casserole dans une couverture – elle recommande celle en grosse laine tissée bien serré, qui vous vient de votre grand-mère – et votre préparation continue à se préparer toute seule 😉
ça marche pour tout, dit-elle, sauf les haricots secs et les pois chiches.

T comme Taalgrens

Frontière linguistique, taalgrens, c’est un mot que le père de l’Adrienne détestait: il ne voulait pas l’entendre. Il voulait en nier l’existence. Ou plutôt: continuer à croire que les francophones apprendraient le néerlandais et les Flamands le français.

A Bruxelles le week-end dernier, l’Adrienne a pu constater que cette frontière est bien réelle: lors de la visite du Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, le groupe néerlandophone ne connaissait aucun nom de ceux donnés aux diverses salles du bâtiment.

Même le guide avait dû se renseigner pour savoir qui était Amélie Nothomb, qu’il appelait systématiquement Nathalie Nothomb (vous imaginez à quel point l’Adrienne a dû se retenir pour ne pas le corriger ;-)) et en entrant dans la salle Maurane il demande à la cantonade:

– Quelqu’un ici connaît Maurane?
– Oui, fait l’Adrienne.

Apparemment, il ne voulait pas la croire:

– Ah bon? et c’est quoi? un peintre?
– Une chanteuse.

Le type avait ses idées sur la frontière linguistique et culturelle et aurait aimé qu’elles soient entièrement partagées. Confirmées.

Que José van Dam soit inconnu, passons, mais Philippe Gelück et son Chat?

Puis le groupe arrive dans la salle Eddy Merckx, que tout le monde connaissait, évidemment.

Et là son réflexe territorial lui fait dire:

– Je ne sais vraiment pas pourquoi ils ont choisi Eddy Merckx: il est Flamand! Il y a tout de même aussi de grands sportifs wallons?
– Ben oui, a dit quelqu’un, Justine Hénin.

Bref, une journée du patrimoine fort instructive.

Il aurait été intéressant de faire l’exercice inverse et d’accompagner un groupe francophone en visite au parlement flamand.

Photos prises à Bruxelles aux Journées du Patrimoine le 17 septembre dernier.

Questions existentielles

Madame est allée voir sa « doctoresse » préférée, celle qui est une charmante ancienne élève à qui elle a délégué la responsabilité de veiller à ce qu’elle ne meure pas du même mal que son père.

– Je compte sur toi, lui a-t-elle dit.

Même si évidemment il faudra bien qu’elle meure de quelque chose.

Puis c’est la secrétaire qui s’est occupée d’elle et comme une des questions était « vous prenez des drogues? » Madame n’a pu s’empêcher d’éclater de rire et – vous la connaissez – de s’étonner:

– Est-ce que vraiment vous pensez que les gens vous répondent la vérité, quand vous leur posez ce genre de questions?

***

Bref, le plus beau de l’histoire, c’est que ces questions sont inutiles: la prise de sang révèle tout.

Y comme y en a encore

Quand y en a plus, y en a encore, disait le père de l’Adrienne, généralement comme trait d’humour quand par exemple il fallait « finir un plat » ou quand une corvée était interminable, genre épluchage de crevettes grises.

Ici, après l’Anisette, Felicia, Cornelia et Penelope, vous voyez Sweet Juliet.

Une autre rose à la fois belle, solide et parfumée que l’Adrienne avait dans son jardin d’autrefois.

Celle-ci a été repérée dans le jardin de Glyndebourne le 18 juin dernier.

Reconnaissable entre toutes elle aussi 🙂