Question existentielle

Le Faune:

« Cette nymphe, je veux l’emballer.
Peau claire,
Cheveux légers qui voltigent dans l’air
Elle me rend fou.

Aimai-je un rêve?
Mon doute s’achève
Fini d’être subtil, elle verra de quel
Bois je me chauffe, et je lui prouverai que moi seul triomphant
Lui ferai une nuit parfumée de roses.

Réfléchissons…

Oui les femmes dont je rêve
Parlent à mes sens fabuleux!
Faune je suis et j’aime les yeux bleus
Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste:
La rousse, tout soupirs, forme avec moi ce contraste
Comme brise du jour contre haleine de la nuit.
Elle, immobile et lasse, en pâmoison
Suffoquant de chaleur sur ma mobylette,
Me murmure des mots qui ne laissent aucun doute !
Au bosquet je l’emmène; et le seul vent
Accompagnera nos soupirs et nos gémissements. »

C’est ainsi que vers l’horizon filait le faune
Fier et serein sur son nuage artificiel
De la fatuité qui s’imagine au septième ciel.

O vanité ! Tu saccages
Les fleurs et les étincelles,
Les songes creux, les EGO domptés :
Pas de talent; que du pipeau,
Alors on se sauve
Ou on plonge…

Pauvre Faune qui se voit dans l’heure fauve
Avec ce doux rien par leurs lèvres ébruité,
Le baiser, qui tout bas des perfides assure,
Et qui n’est que morsure
Trouble de la joue,
Rêve de beauté, chant crédule,
Songe ordinaire…

Avec un cri de rage la belle
A la splendide chevelure rousse
Meurtrie entre des bras hasardeux et frivoles,
En courroux comme une vierge outragée
Et farouche
Veut fuir en un éclair
Laissant le faune à sa frayeur:
L’inhumaine qui faisait sa timide
L’innocente aux yeux humides
De larmes folles ou de moins tristes vapeurs.

« Ton crime, éructe-t-elle, c’est d’avoir
Divisé la touffe échevelée
Que je gardais si bien mêlée:
Car, à peine m’avais-tu touchée
Par un doigt simple, dans ma candeur de plume
Pour que je naisse à l’émoi qui s’allume,
Moi, naïve et ne rougissant pas:
Que de tes bras à jamais je me délivre !
Tant pis! vers le bonheur d’autres m’entraîneront
Je me ferai des tresses de leur passion,
De leurs éclats et de leurs murmures;
Eux au moins sauront me saisir,
Et satisfaire mes éternels désirs. »

Envoi :

Couple, adieu; je vais voir l’ombre que tu devins.

***

Écrit pour le devoir 147 de Monsieur le Goût – merci à lui – qui demandait d’utiliser ce vers final de l’Après-midi d’un faune et cette toile de Joseph Lorusso.

P comme Prof et Poète

Il est décédé cette année à l’âge de 42 ans, le 22-02-2022, de cette maladie qui souvent ne pardonne pas.
Il était prof et poète, le journal De Morgen publiait ses vers chaque jour de la semaine.

Le poème ci-dessous fait partie de ses derniers publiés, c’était au mois de janvier, P* n’avait pas encore envahi l’Ukraine.
Pourtant le titre est Poetin & co, Poutine et compagnie.

Zo is ’t altijd al gegaan
en zo zal het altijd blijven –
wat historici beschrijven,
wat er in de krant zal staan.

Mannen met een hart van steen
en een ruimbemeten ego
spelen laconiek Stratego
met de wereld om hen heen.

Winnaars, machtig en infaam,
die de spelregels verzinnen
of omzeilen om te winnen.
De verliezer heeft geen naam.

(Stijn De Paepe, Dagvers – « le vers du jour, frais du jour » qui paraissait quotidiennement dans le journal De Morgen – celui-ci a comme titre Poetin & co et a paru le 29 janvier 2022)

Ci-dessous l’Adrienne fait une tentative de traduction:

Il en a toujours été ainsi
et ce sera toujours ainsi –
ce que les historiens décrivent,
ce qu’il y aura dans le journal.

Des hommes au cœur de pierre
et à l’égo surdimensionné
jouent un Stratégo, laconiques,
avec le monde autour d’eux.

Des gagnants, puissants et infâmes,
qui inventent les règles
ou les contournent pour vaincre.
Le perdant n’a pas de nom.

I comme « I didn’t »

L’organisatrice le présente comme un poème datant de 1915, écrit par une femme dont l’Adrienne n’a pas noté le nom, mais chez Wikisaitout on trouve des choses légèrement différentes concernant date et auteurs.

Et surtout qu’en fait, c’est une chanson.

Ce qui fait qu’on la trouve en mille et une versions, comme celle choisie en illustration, puisque ce ne sont pas les guerres et autres conflits armés qui manquent.

I didn’t raise my boy to be a soldier,
I brought him up to be my pride and joy.
Who dares to place a musket on his shoulder,
To shoot some other mother’s darling boy?
Let nations arbitrate their future troubles,
It’s time to lay the sword and gun away.
There’d be no war today,
If mothers all would say,
« I didn’t raise my boy to be a soldier. »

Je n’ai pas élevé mon fils pour en faire un soldat,
Je l’ai élevé pour qu’il soit ma fierté et ma joie.
Qui ose lui mettre un fusil à l’épaule,
Pour tirer sur l’enfant chéri d’une autre mère?
Laissez aux nations l’arbitrage de leurs problèmes,
Il est l’heure de ranger l’épée et le canon.
Il n’y aurait pas de guerre aujourd’hui
Si partout les mères disaient:
« Je n’ai pas élevé mon fils pour en faire un soldat ».

(traduction de l’Adrienne)

***

à l’occasion du 11 novembre

Dernier cri

« La joie venait toujours après la peine » se dit l’Adrienne en souriant, mais elle se tait.

Une des participantes venait juste de dire que jamais elle n’avait eu la chance d’avoir un prof qui leur faisait écouter un disque avec de la poésie lue, comme le personnage de cette nouvelle d’Aidan Chambers qu’on venait de lire ensemble autour de la table de la bibliothèque.

L’Adrienne s’est retenue de dire que ça aurait bien fait rigoler ses élèves, si elle leur avait fait écouter le Pont Mirabeau lu par Apollinaire…

Elle avait déjà dû se retenir précédemment, quand les participants discutaient de l’autorité du prof, surtout pour en exprimer leur dégoût profond, comme s’il était possible d’enseigner au milieu du chahut ou du « je fais ce que je veux ».

Et comme si toute forme d’autorité était forcément obtenue par de mauvais moyens.

C’est un vrai bonheur quand une classe entière est penchée sur un travail et se concentre en silence.

Pas seulement pour l’enseignant, comme certains pourraient le croire, mais aussi pour les élèves eux-mêmes, qui sont les premiers à mépriser le prof qui ne réussit pas à faire régner le calme.

Un vrai bonheur pour les élèves, donc, à commencer par ceux pour qui l’école est un havre de paix, parce qu’ils vivent dans des disputes et des criailleries infinies à la maison.

– Cette semaine de vacances qui arrive là, ça me stresse, disait Manal, ici au moins pendant quelques heures, je suis tranquille. C’est le silence. Le repos.

***

Écrit selon les consignes de Monsieur le Goût – merci à lui – pour son devoir 141.

Évidemment, cette toile de Thierry Duval me rappelle quelque chose. Mais à vous ?
Rappelle-t-elle quelque chose qui commencerait par « La joie venait toujours après la peine ». Et si en plus votre récit se clôt sur « Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! » ce sera parfait.

B comme Beaucarne

« J’arrive tout couvert encore de rosée », dit ce gros menteur qui a tout simplement rapporté des fruits et des fleurs de chez l’arabe au coin de la rue.

Ah! c’est qu’il a toujours été fort en paroles, le bougre!

Et je te prends, et je te jette, et je te bastonne, et je te quitte et puis je reviens te faire les yeux doux…

Ah! Il sait tourner des compliments, quand il veut obtenir quelque chose!

Et vos yeux si beaux, gnagnagna…

Le pire, c’est que ça marche, ses tissus de mensonges!

Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.

Tu parles, Charles!

Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches

***

Texte écrit pour le 139e devoir de Monsieur le Goût – merci à lui – qui proposait ceci, basé sur Green, de ce gros menteur de Paul Verlaine:

D’après vous, qu’est-ce qui m’a poussé, à voir cette toile, à vous proposer un devoir ? Oui, comme la semaine dernière, c’est une toile d’Émile Friant. Celle-ci m’a particulièrement interpellé. Pourquoi ? Je vous le dirai lundi. Mais vous ? Que vous a-t-elle inspiré ? Ce qui serait vraiment bien, c’est que vous commenciez votre explication par :
« J’arrive tout couvert encore de rosée »
Et que vous la finissiez par :
« Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches. »

V comme Vinau

Les rideaux d’or et d’ombre 
adoucissent le temps
nous partageons nos corps 
avec des choses étranges
des douleurs des espoirs 
des peurs et des souvenirs
nos nourrissons nourris d’un drôle d’appétit
les mouches aux plafonds 
les questions dans les cendres
nous avons donné des noms aux fleurs 
aux lapins 
aux secondes
nous avons inventé chansons chaussures 
et confitures
nous jouons à tourner 
nos yeux fermés vers le ciel 
en comptant les couleurs 
qui n’existent pas
à sentir l’haleine des fantômes
à tuer les étoiles
sans jamais cessé d’être habités 
par ce qui nous manque

Thomas Vinau, sur son blog, le 23 août.

Cette fois sans traduction en néerlandais 😉

***

tous les billets sur Thomas Vinau ici.

Photo de l’été 1932, à peu près.

H comme Haruki

La première fois qu’un élève a déclaré à Madame:

– Moi, je n’aime pas la poésie.

Il lui a bien fallu trois secondes pour déglutir et arriver à prononcer un:

– Ah bon?

Suivi de la question:

– En néerlandais non plus?

Après elle en faisait un défi personnel de réussir à trouver LE poème qui parlerait à l’élève imperméable à ses beautés.

Mais toujours, quelque part, et pendant de nombreuses années, il lui restait dans la tête une sorte de « comment peut-on ne pas aimer la poésie?« 

Bref, aujourd’hui elle comprend, bien sûr.

Prenez par exemple ces millions de gens qui adorent la littérature japonaise en général et Murakami en particulier.

Et Madame?

Et bien, elle continue à faire des efforts et à espérer qu’un jour, elle sera « touchée » 🙂

En ce moment, elle lit ceci.

Z comme zut!

– Ah zut! s’est exclamée l’Adrienne en apprenant il y a quelque peu la mort de Miss.Tic.

Et comme une sorte d’hommage elle est allée voir tout ce qu’elle pouvait trouver sur les œuvres laissées ça et là par l’artiste sur les murs de Paris.

– Encore une bonne raison d’aller à Paris, a-t-elle soupiré.

Elle a eu envie de dire un deuxième zut – un bien gros, bien fort – quand elle a appris la cause de ce décès qu’elle juge prématuré.
Sale maladie!

D’ailleurs au moment où elle écrit ce billet, juste après la parution du devoir de lakévio du Goût, on est vendredi matin et c’est le jour anniversaire d’une mort encore bien plus prématurée.

Alors c’est tout naturellement que l’Adrienne a lâché un troisième zut, en retournant chez Monsieur le Goût pour faire un copier-coller du lien vers son blog, et qu’elle a vu qu’entre-temps il avait ajouté dix mots imposés.

Zut et flûte.

Crotte zut flûte

***

Merci à Monsieur le Goût pour l’image et les consignes:

Miss Tic, que vous connaissez sûrement, est morte il y a quelques jours.
J’ai vu pour la première fois ses traces sur les murs de mon quartier il y a près de cinquante ans. J’avais été frappé par ce pochoir. Et vous ?
Ce qui serait gentil, ce serait que vous y mettiez les mots suivants :

Mathématique
Papillon
Coquelicot
Terre
Soleil
Branche
Équation
Somme
Produit
Égal

I comme Ioannis

C’est tout à fait par hasard que la petite troupe visitait le village natal du grand poète de la résistance grecque, Yannis Ritsos, le jour anniversaire de sa naissance.

Pour lire quelques-uns de ses poèmes en traduction française, voir ici et ici.

En 1936, il écrit Épitaphe (ΕπιτάφιοςEpitáfios) après des affrontements sanglants avec la police.
C’est la photo de cette mère pleurant son fils qui l’a incité, dit-il, à écrire ce chant d’appel à l’unité.
Le 4 août de cette année-là, un général fasciste prend le pouvoir après un coup d’État et la persécution des opposants, dont Iannis Ritsos, commence.
Résistant pendant la guerre, il est ensuite emprisonné au cours de la guerre civile qui a suivi.
Il n’est libéré qu’en 1952.

Pour ceux qui comprennent l’allemand:

Y, adverbe pronominal de lieu

Il y avait dans leur chambre quatre lits blancs, mais une seule fenêtre.
– Dis-nous, Karl, dis-nous ce que tu vois par la fenêtre…

Ainsi commence La Fenêtre, une nouvelle de Maurice Pons (à lire ici) que malheureusement l’Adrienne avait déjà lue et par conséquent reconnue dès les deux premières lignes.

Mais bien sûr, dans la maison de quartier on est là aussi pour parler, échanger, rencontrer.

Depuis que la nouvelle saison de rencontres « lire ensemble » a commencé, il y a dans le petit groupe un homme au regard triste. La quarantaine. Les cheveux châtains en brosse. Les yeux très clairs.

Après la lecture d’une nouvelle – entrecoupée de pauses pour permettre à chacun d’exprimer ce qu’il a compris, ce qu’il en pense, ce que ça lui évoque – après cette lecture-là suit celle d’un poème.
Dès la première fois, Alexander a déclaré que la poésie, ce n’était pas son truc. On l’a rassuré: c’est son droit 🙂

Puis, mercredi dernier, c’était ce poème de Charles Bukowski, dont voici la version originale (avec traduction ‘simultanée’ de l’Adrienne):

there’s a bluebird in my heart that
il y a un merlebleu dans mon cœur qui
wants to get out
veut en sortir
but I’m too tough for him,
mais je suis trop fort pour lui,
I say, stay in there, I’m not going
je dis, reste là, je ne vais
to let anybody see
permettre à personne
you.
de te voir.
there’s a bluebird in my heart that
il y a un merlebleu dans mon cœur
wants to get out
qui veut en sortir
but I pour whiskey on him and inhale
mais je lui verse du whisky et j’aspire
cigarette smoke
la fumée de cigarettes
and the whores and the bartenders
et les putes et les barmen
and the grocery clerks
et les employés de magasin
never know that
ne savent jamais
he’s
qu’il est
in there.
là-dedans.

there’s a bluebird in my heart that
il y a un merlebleu dans mon cœur
wants to get out
qui veut en sortir
but I’m too tough for him,
mais je suis trop fort pour lui,
I say,
je dis,
stay down, do you want to mess
reste là, tu veux
me up?
m’embrouiller?
you want to screw up the
tu veux tout foutre
works?
en l’air?
you want to blow my book sales in
tu veux bousiller mes ventes de livres
Europe?
en Europe?
there’s a bluebird in my heart that
il y a un merlebleu dans mon cœur
wants to get out
qui veut en sortir
but I’m too clever, I only let him out
mais je suis trop malin, je ne le laisse aller
at night sometimes
que parfois la nuit
when everybody’s asleep.
quand tout le monde dort.
I say, I know that you’re there,
je dis, je sais que tu es là,
so don’t be
alors ne sois pas
sad.
triste
then I put him back,
puis je le remets à sa place,
but he’s singing a little
mais il chante un peu
in there, I haven’t quite let him
là-dedans, je ne l’ai pas tout à fait laissé
die
mourir
and we sleep together like
et nous dormons ensemble comme
that
ça
with our
avec notre
secret pact
pacte secret
and it’s nice enough to
et c’est assez beau pour
make a man
faire pleurer
weep, but I don’t
un homme, mais moi
weep, do
je ne pleure pas, et
you?
vous?

Charles Bukowski

Mercredi dernier, il a suffi de ce poème pour qu’Alexander sorte un peu de sa carapace. Complètement ému.

Il l’avait parfaitement compris du premier coup, mieux que les deux ou trois autochtones du groupe, et cette sorte de lutte du bien et du mal, dans le cœur de l’homme, lui a fait dire en conclusion de la conversation:

– Je suis Russe et j’en ai honte. J’ai quitté la Russie à 22 ans. J’y suis né mais je ne veux plus jamais y mettre les pieds. Je ne veux plus être Russe.