Ma chère Louise, je devrais écrire une scène de bal et je me sens fort ennuyé, d’abord parce que je déteste faire de longues narrations et ensuite parce qu’il y a tellement longtemps que je n’ai plus assisté à un bal… je vais devoir tout inventer et imaginer!
Non, ne me dis pas de faire un saut à Paris pour assister à une de ces soirées que je fuis depuis toujours! D’ailleurs, mon bal doit avoir lieu chez des nobles de province, ce qui est tout autre chose que la princesse Mathilde, tu en conviendras.
Je n’ai pas eu cette peine quand il a fallu décrire la noce villageoise, tu me diras que c’est trop bête d’avoir donné à mon héroïne ces goûts de luxe et de grandeur!
Mais donc, la voilà à naviguer sur le lac bleu des rêves de jeunes filles, elle ira au bal puis passera un triste hiver et accouchera d’une petite Berthe.
Tiens, à propos de bal, que j’y pense! J’ai assisté dernièrement à un concert au salon de Mme de R***, le genre d’endroit où tout en s’ennuyant mortellement on cherche ce qu’on pourra dire d’intelligent et de sensible sur la prestation des musiciens.
Surtout si la pianiste est la fille de la maison et le ténor un ami de Madame.
Tu m’as compris. Je me suis tu en prenant de grands airs entendus de connaisseur, cela va de soi.
Et je retourne à ma scène de bal, même si je m’en veux de tomber dans ce topos, il le faut!
Qu’est-ce qui t’a pris de nous faire faux bond dimanche dernier, le temps était parfait, la compagnie était parfaite et une de ces dames n’a pas manqué de s’inquiéter de ton absence!
Je lui ai raconté je ne sais plus quelle faribole, tu seras bien bon de ne pas me désavouer si elle t’en parle.
Et tu seras bien bon aussi de venir nous rejoindre dimanche prochain, sans faute!
Car les masses s’impatientent et murmurent et attendent une réponse immédiate à cette importante question: où est Pinchon?
Mon cher vieux Prunier
Je travaillais, figure-toi, à ta gloire et à la mienne, je suis allé montrer le papier que j’avais écrit sur toi, ce sera publié un de ces jours, m’a-t-on promis!
J’ai rencontré ta Princesse au parc, mais elle ne m’a pas même remarqué, elle n’avait d’yeux que pour un fringant militaire.
Avec Clara, quand on veut nous faire prendre « le bon air », on nous envoie au parc.
Tu serais étonné de voir à quel point les enfants s’ennuient, ici en ville: ils inventeraient n’importe quoi, surtout les choses les plus bêtes, pour passer le temps.
Et je ne crois pas que ça les amuse vraiment. Je crois que comme nous, ils préféreraient grimper dans la montagne avec nos chèvres et se rouler dans l’herbe.
Imaginer les amies de Clara se rouler dans l’herbe, ça me fait rire toute seule, tiens!
Les dames aussi s’ennuient beaucoup en ville, je pense. Elles se promène deux à deux dans le parc, refont lentement le même chemin, les mêmes allées, plusieurs fois, et ralentissent encore leurs pas quand elles croisent un militaire.
Clara dit que c’est « le prestige de l’uniforme » et moi je ne comprends vraiment pas ce que ça signifie.
Tu imagines les femmes de chez nous qui ralentiraient au passage du facteur ou du garde champêtre, juste pour le regarder sans rien dire? Elles le saluent, font une causette, et puis c’est tout!
Tant de choses ici m’étonnent et j’ai toujours peur de dire ou de faire une bêtise! Comme j’ai hâte de revoir grand-père, nos chèvres et nos montagnes et de reprendre avec toi la bonne vie d’avant.
Au lieu du ‘Oups!‘ l’Adrienne avait d’abord pensé à ‘outrage‘ ou ‘outrecuidance‘, parce qu’en découvrant ces couvertures réalisées par la spécialiste du genre, Clémentine Mélois, elle s’est tout de suite demandé ce qu’en pensait la très greedy société M**l*ns*rt, qui n’a pas l’habitude de laisser passer ce genre de choses.
C’est pour ça qu’on ne met pas la source, même si la chose se trouve (provisoirement?) facilement sur fb 😉
Et d’ailleurs on émet quelque doute sur la paternité de ces illustrations (oui, paternité, même si Clémentine est une femme ;-)) vu qu’habituellement, elle fait mieux que ça.
Jeanne-Marie a le nez rouge, Et des biceps de débardeur, Mais quand chez elle rien ne bouge, C’est que le vin l’emmène ailleurs.
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Agressif : « Moi, madame, si j’avais un tel nez, Il faudrait sur-le-champ que je me le poudrasse ! »
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Souvent, pour s’amuser, Lorusso, de passage, Peint des rousses tristes, picoleuses mémères, Que suivent, indolentes compagnes de voyage, Les bouteilles vides et pleines, toujours amères.
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Buvons, buvons, buvons Le sirop Typhon, Typhon, Typhon L’universelle panacée, eh ! Eh ! A la cuillère Ou bien dans un verre, Rien ne pourra nous résister.
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écrit pour la consigne 165 du devoir de Monsieur le Goût, qui nous dit ceci:
Dans cette toile de Joseph Lorusso, quelque chose me frappe. Je ne vous dirai pas quoi aujourd’hui, évidemment. Mais j’aimerais bien savoir ce qui vous a frappé vous.
« Cette nymphe, je veux l’emballer. Peau claire, Cheveux légers qui voltigent dans l’air Elle me rend fou. Aimai-je un rêve? Mon doute s’achève Fini d’être subtil, elle verra de quel Bois je me chauffe, et je lui prouverai que moi seul triomphant Lui ferai une nuit parfumée de roses.
Réfléchissons…
Oui les femmes dont je rêve Parlent à mes sens fabuleux! Faune je suis et j’aime les yeux bleus Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste: La rousse, tout soupirs, forme avec moi ce contraste Comme brise du jour contre haleine de la nuit. Elle, immobile et lasse, en pâmoison Suffoquant de chaleur sur ma mobylette, Me murmure des mots qui ne laissent aucun doute ! Au bosquet je l’emmène; et le seul vent Accompagnera nos soupirs et nos gémissements. »
C’est ainsi que vers l’horizon filait le faune Fier et serein sur son nuage artificiel De la fatuité qui s’imagine au septième ciel. O vanité ! Tu saccages Les fleurs et les étincelles, Les songes creux, les EGO domptés : Pas de talent; que du pipeau, Alors on se sauve Ou on plonge…
Pauvre Faune qui se voit dans l’heure fauve Avec ce doux rien par leurs lèvres ébruité, Le baiser, qui tout bas des perfides assure, Et qui n’est que morsure Trouble de la joue, Rêve de beauté, chant crédule, Songe ordinaire…
Avec un cri de rage la belle A la splendide chevelure rousse Meurtrie entre des bras hasardeux et frivoles, En courroux comme une vierge outragée Et farouche Veut fuir en un éclair Laissant le faune à sa frayeur: L’inhumaine qui faisait sa timide L’innocente aux yeux humides De larmes folles ou de moins tristes vapeurs.
« Ton crime, éructe-t-elle, c’est d’avoir Divisé la touffe échevelée Que je gardais si bien mêlée: Car, à peine m’avais-tu touchée Par un doigt simple, dans ma candeur de plume Pour que je naisse à l’émoi qui s’allume, Moi, naïve et ne rougissant pas: Que de tes bras à jamais je me délivre ! Tant pis! vers le bonheur d’autres m’entraîneront Je me ferai des tresses de leur passion, De leurs éclats et de leurs murmures; Eux au moins sauront me saisir, Et satisfaire mes éternels désirs. »
Envoi :
Couple, adieu; je vais voir l’ombre que tu devins.
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Écrit pour le devoir 147 de Monsieur le Goût – merci à lui – qui demandait d’utiliser ce vers final de l’Après-midi d’un faune et cette toile de Joseph Lorusso.
Les visites d’Eulalie étaient la grande distraction de ma tante Léonie qui ne recevait plus guère personne d’autre, en dehors de M. le Curé. (1) Ma tante avait peu à peu évincé tous les autres visiteurs parce qu’ils avaient le tort à ses yeux de rentrer tous dans l’une ou l’autre des deux catégories de gens qu’elle détestait. (2) Les uns, les pires et dont elle s’était débarrassée les premiers, étaient ceux qui lui conseillaient de ne pas « s’écouter » et professaient, fût-ce négativement et en ne la manifestant que par certains silences de désapprobation ou par certains sourires de doute, la doctrine subversive qu’une petite promenade au soleil et un bon bifteck saignant (quand elle gardait quatorze heures sur l’estomac deux méchantes gorgées d’eau de Vichy !) lui feraient plus de bien que son lit et ses médecines. (3) L’autre catégorie se composait des personnes qui avaient l’air de croire qu’elle était plus gravement malade qu’elle ne pensait, qu’elle était aussi gravement malade qu’elle le disait. (4) Aussi, ceux qu’elle avait laissé monter après quelques hésitations et sur les officieuses instances de Françoise et qui, au cours de leur visite, avaient montré combien ils étaient indignes de la faveur qu’on leur faisait en risquant timidement un : « Ne croyez-vous pas que si vous vous secouiez un peu par un beau temps », ou qui, au contraire, quand elle leur avait dit : « Je suis bien bas, bien bas, c’est la fin, mes pauvres amis », lui avaient répondu : « Ah ! quand on n’a pas la santé ! Mais vous pouvez durer encore comme ça », ceux-là, les uns comme les autres, étaient sûrs de ne plus jamais être reçus. (5) Et si Françoise s’amusait de l’air épouvanté de ma tante quand de son lit elle avait aperçu dans la rue du Saint-Esprit une de ces personnes qui avait l’air de venir chez elle ou quand elle avait entendu un coup de sonnette, elle riait encore bien plus, et comme d’un bon tour, des ruses toujours victorieuses de ma tante pour arriver à les faire congédier et de leur mine déconfite en s’en retournant sans l’avoir vue, et, au fond, admirait sa maîtresse qu’elle jugeait supérieure à tous ces gens puisqu’elle ne voulait pas les recevoir. (6) En somme, ma tante exigeait à la fois qu’on l’approuvât dans son régime, qu’on la plaignît pour ses souffrances et qu’on la rassurât sur son avenir. (7)
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La visite du curé, c’est bien, mais celles d’Eulalie, c’est mieux! Je déteste toutes les autres. Je ne veux surtout pas qu’on vienne me dire ce que je dois faire pour aller mieux! Ni qu’on m’enterre avant l’heure! Je n’ai de conseils à recevoir de personne. Je réussis toujours à faire fermer ma porte aux indésirables et ça fait bien rigoler Françoise qui me trouve une femme supérieure. La bonne visite est celle qui réussit le juste dosage entre rassurer et plaindre, sans se mêler de donner des conseils.
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Merci à Joe Krapov pour sa consigne proustienne: « réécrire « à sa sauce », dans son propre style, en raccourcissant les phrases et en adoptant le plus possible le langage « relâché », celui qu’on utilise dans la vie de tous les jours. »
Dans l’agenda à couverture de cuir vert, Bosmans trouva une photo pliée en deux.
C’était celle d’une mauvaise reproduction d’un tableau aux couleurs passées, plutôt tristes, dans des tons de gris et de brun.
Il se disait qu’il avait dû voir cet escalier, ce palier, cette balustrade de métal et de bois. Tout dans cette image lui semblait familier, jusqu’aux boutons de porte en laiton. Mais le souvenir en était tellement diffus que même l’adresse griffonnée au crayon au dos du cliché ne lui rappelait rien. Rue de Lille, 48.
Était-il jamais allé rue de Lille? Martine Hayward avait-elle habité ce genre d’appartement? Confondait-il avec celui du quai de Conti, où il avait rencontré Maurice Sachs?
C’est au Cabaret Vert, Après les tourbillons de la nuit Qu’il est entré ce matin. Les semelles déchirées. Il a trébuché sur les pavés Et en entendant l’alouette A repensé aux chimères de la veille.
C’est avec un clin d’œil Que la serveuse lui apporte son absinthe Et dans le miroir devant lui Il peut aussi l’admirer de dos Même s’il préfère le devant.
Passent les jours, passent les semaines, Il garde le secret espoir De réussir à passer de la fée verte au thé Vert
cabaret
pavé
Clin d’oeil
espoir
tourbillon
alouette
miroir
secret
matin
chimère
semaine
thé
Même consigne que celle-ci, donc toujours chez Joe Krapov, que je ne saurais assez remercier de les partager!
Bosmans s’était souvenu qu’un mot, Rodenbach, revenait dans la conversation.
Rodenbach. Ce nom attirerait peut-être à lui d’autres noms, comme un aimant. Des images, aussi. Même s’il n’avait qu’une seule photo de cette époque, un cliché fort abîmé, en noir et blanc, aux bords dentelés. Il datait de juste après la guerre, au dos quelqu’un avait inscrit au crayon ‘1947’.
À la sortie de Rodenbach, un tournant, puis une route étroite, bordée d’arbres. Ils devaient avoir bien grandi, depuis tout ce temps. Ou peut-être avaient-ils été abattus. Pour élargir la route. C’était probable.
Un début d’après-midi, Bosmans décida de sonner à la porte de l’appartement de Camille. Il voulait lui demander si elle avait gardé quelque chose de cette époque. Un quelconque document, qui lui permettrait d’avancer dans ses recherches.
Dans la rue, il déplia le papier qu’elle lui avait tendu. Il y était écrit : Kim 288.15.28. Qu’est-ce qui lui avait pris de téléphoner à cette gamine qui n’avait jamais entendu parler de lui !
Il accompagna encore deux ou trois fois Camille à ses rendez-vous de Saint-Lazare avec Michel de Gama. Ce type lui semblait de plus en plus louche, sans qu’il fût capable d’expliquer clairement pourquoi.
Il était impossible à Bosmans, après plus de cinquante ans, d’établir la chronologie précise de ces deux événements du passé : comment était-il arrivé à Rodenbach ? Avec qui, puisqu’il n’était qu’un enfant? Et comment s’était faite la rencontre avec la mère de Camille ? Était-ce une amie de sa propre mère ? Camille ne le savait pas non plus et s’en moquait totalement.
Michel de Gama, était-ce le même homme que ce Guy Vincent qui lui avait offert un verre au bar de l’hôtel Chatham ? Qui lui avait fait rencontrer Martine Hayward à l’Auberge du Moulin-de-Vert-Cœur, près de Chevreuse ? Était-ce sa tante qui habitait la maison de la rue du Docteur-Kurzenne ? Celle qui avait vécu un temps avec René-Marco Heriford dans un appartement à Auteuil ? AUTEUIL 15.28, il se souvenait bêtement de ce numéro sans pouvoir vérifier s’il était correct. Sans qu’il fût utile à son enquête. Et qui était Rose-Marie Krawell ? Quel rôle avait-elle joué là-dedans ?
À certains moments de la journée, il en riait lui-même, de passer tout son temps à un tel imbroglio, et dressait une liste de titres de romans qui traduisaient son état d’esprit : – Le Retour des fantômes – Les Mystères de l’hôtel Chatham – La Maison hantée de la rue du Docteur-Kurzenne – Auteuil 15.28 – Les Rendez-vous de Saint-Lazare – Le Bureau de Guy Vincent – La Vie secrète de René-Marco Heriford
Dans l’agenda à la couverture de cuir vert que Camille lui avait remis, cet agenda dont on ne pouvait pas savoir l’année, la plupart des pages étaient blanches. Encore une piste qui tournait court, il allait devoir s’en faire une raison.
Il s’en retourna lentement chez lui en passant à pied sous le périphérique. Un avion glissait en silence dans le bleu du ciel et laissait derrière lui une traînée blanche, mais on ne savait pas s’il s’était perdu, s’il venait du passé ou bien s’il y retournait.