Quand on ne la voit pas, on sait où on va la trouver: dehors, en train de fumer.
Mille fois elle a dit qu’elle arrêterait, jamais elle ne l’a vraiment essayé.
Pourtant, malgré son jeune âge, les avertissements ne manquent pas. Des problèmes de voix. Une toux incessante. Des bronchites chaque hiver. Et là, à même pas quarante ans – ça va la faire entrer dans de tristes statistiques – son médecin lui a décelé un emphysème pulmonaire.
– Il m’a fait drôlement peur! raconte-t-elle le lendemain au bureau. Là, maintenant, c’est sûr, faut que j’arrête! Il me l’a bien expliqué!
Les collègues l’entourent, l’encouragent, la motivent… Rien n’y fait. Elle ne tient pas trois jours.
– Ce n’était plus possible, dit-elle le lundi suivant. Avec mon copain, on se disputait tout le temps! Alors on s’est remis à fumer.
Et bien sûr il se trouve toujours quelqu’un, même à cette petite minute où par bonheur elle n’y pense pas, qui lui fait un signe convenu pour l’entraîner dehors.
– M’enfin! dit l’Adrienne, que ça choque beaucoup, tous ceux qui te demandent de sortir fumer avec eux, ils savent! Ils savent, pour ton emphysème! Pourquoi ils t’incitent à fumer!?
Alors elle répond:
– C’est qu’entre nous, entre fumeurs, dehors, on a les meilleures conversations.
Dans la ville de l’Adrienne on est bien contents et bien émus de ce beau geste: en remerciement pour l’aide apportée lors des inondations de l’été 2021, la commune de La Roche-en-Ardenne offre un sapin de Noël.
Merci les amis wallons!
***
photo prise le 30 novembre dernier, les ouvriers communaux sont en plein dans les travaux de décoration 🙂
– Je me suis rendu compte, écrit-elle dans sa dernière lettre, qu’avec la famille, avec nos fêtes de famille, j’avais la quantité mais pas la qualité.
L’Adrienne arrête sa lecture.
Un peu choquée, oui.
Mais en y réfléchissant, elle comprend, bien sûr. Elle se souvient. Elle se souvient que ses meilleures conversations, elle les avait dans la cuisine, en faisant la vaisselle. A deux ou à trois. Pas autour de la table avec trente personnes.
– Donc maintenant, écrit-elle dans la suite de sa lettre, je n’ai plus de contacts qu’avec deux ou trois personnes de la famille, mais au moins ce sont des gens qui ont vraiment choisi de garder ce contact avec moi. Qui prennent la peine de m’écrire.
Il faut savoir qu’elle a éteint son portable, résilié son abonnement télé et sa connexion internet.
Si on veut la joindre, il faut désormais lui envoyer un courrier par la poste 🙂
C’est arrivé quelques fois: l’Adrienne dans son jardinet reçoit un « bonjour » d’un petit garçon qui passe dans la rue et il n’en faut évidemment pas plus pour qu’elle soit charmée.
Alors la fois suivante, elle engage la conversation.
Il n’avait jamais vu de figues ni de figuier, elle lui montre donc les fruits, verts à l’époque, et lui explique qu’ils doivent devenir violet foncé.
– Dès que tu vois qu’ils ont la bonne couleur, tu sonnes à ma porte et je t’en donne. D’accord?
Alors l’autre jour, au moment où elle se demandait s’il allait oser, vu que les fruits étaient déjà bien colorés vers la mi-août, il était là.
Deux jours plus tard, il était de nouveau là. Un peu gêné, embarrassé:
– C’est mon père qui m’envoie, dit-il. Il aime tellement ça! – Pas de problème! je vais te remplir ton sachet.
Puis il ajoute:
– Mais il n’aime pas les petites figues. Il dit que les grosses sont meilleures.
On sent bien que c’est du service commandé, exactement comme quand on envoyait mini-Adrienne chez le boulanger en insistant beaucoup qu’elle n’oublie surtout pas de préciser qu’on voulait le pain « bien cuit ».
Au retour, le pain était retourné et inspecté des deux côtés et on n’était jamais content:
– Tu as oublié de dire qu’on le voulait « bien cuit »?
La même sorte de réflexion attendait sûrement le petit garçon rentré chez lui avec un sachet où l’Adrienne avait mis des grosses et des petites figues:
– Tu as bien dit qu’on préfère les grosses?
Et il pourra répondre:
– Oui, mais la dame elle a dit que les petites et les grosses, c’est tout pareil.
Si vous trouvez que vous avez déjà bien assez de sujets de vous alarmer, que ce soit au niveau privé, familial, national ou international, n’allez pas plus loin: nous sommes tous saturés de crises, de pénuries, de drames et de larmes.
Mais, vous vous en doutez, il y a toujours pire.
Et les scientifiques ne manquent pas de nous le rappeler.
Pourra-t-on retourner à Paris cet automne? Voir l’expo Rosa Bonheur? Flâner dans les ruelles? Compter les derniers bouquinistes? Vérifier la réputation des garçons de café?
Ou attendra-t-on décembre et les décors de Noël dans les grands magasins?
C’est le dernier devoir de l’année. Alors je me fais plaisir. J’abandonne Montmartre pour les quais de la Seine. Cette toile de John Salminen me plaît. C’est une raison suffisante pour que je vous demande ce que vous pensez en voyant cette « boîte » de bouquiniste. À moi elle évoque comme dit Françoise Hardy « Tant de belles choses ». Et à vous ? Peut-être ne serez-vous pas encore partis en vacances lundi.
– Mais comment t’as su que j’étais là? s’étonne Nadine. – Écoute, dit Marie-Paule, c’est vraiment pas difficile! Tu crois que tu te caches mais tu gardes tes mains sur la table… – Ben oui sinon je tombe, grommelle Nadine en se réinstallant derrière ses piles de livres.
C’est vrai quoi, est-ce que j’ai encore l’âge de me mettre à croupetons!
Et puis d’abord, est-ce que je n’ai pas le droit de lire tranquille? De lire ce que je veux, sans que Marie-Paule me dise un dédaigneux « c’est n’importe quoi! » De lire où je veux?
1. le droit de ne pas lire 2. le droit de sauter des pages 3. le droit de ne pas finir un livre 4. le droit de relire 5. le droit de lire n’importe quoi 6. le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible) 7. le droit de lire n’importe où 8. le droit de grappiller 9. le droit de lire à haute voix 10. le droit de nous taire