P comme Pevernage

Andreas Pevernage est né à Harelbeke, près de Courtrai, en 1542 – ou peut-être était-ce en 1543, pour cette date on se base sur son âge au moment de son décès, le 30 juillet 1591, à Anvers.

Il est un de ces nombreux polyphonistes flamands qui connaissent du succès partout en Europe pendant la Renaissance et sont souvent employés en Italie, comme Willaert à Venise ou de Rore à Parme.

Mais contrairement aux autres, Andreas Pevernage n’a jamais quitté le pays: il a fait carrière à Bruges, Courtrai et Anvers, obligé de changer de ville chaque fois que les guerres de religion entre protestants et catholiques l’en chassaient.

Rester au pays ne l’a pas empêché de suivre la mode des madrigaux italiens, qu’il a lui aussi mis en musique, comme le madrigal de la vidéo, qui est un poème de Ludovico Ariosto, extrait de son Orlando furioso, chant XXXIII, 63:

Il dolce sonno mi promise pace,
ma l’amaro veggiar mi torna in guerra:
il dolce sonno è ben stato fallace,
ma l’amaro veggiar, ohimè! non erra.
Se ’l vero annoia, e il falso sì mi piace,
non oda o vegga mai più vero in terra:
se ’l dormir mi dà gaudio, e il veggiar guai,
possa io dormir senza destarmi mai.

Le doux sommeil me promettait la paix,
Mais la vision amère me ramène à la guerre.
Le doux sommeil a été bien mensonger,
Alors que la vision amère, hélas, ne se trompe pas.
Si le vrai m’ennuie et le faux me plaît,
Que je n’entende ni ne voie plus jamais la vérité sur terre;
Si le sommeil me donne de la joie et la vue des problèmes,
(Faites) que je puisse dormir sans plus jamais me réveiller.

(traduction de l’Adrienne)

***

Vous ne connaissiez pas ce Pevernage?

C’est normal, moi non plus 🙂

C’est pour ça aussi qu’on va au concert, n’est-ce pas, pour faire des découvertes.

B comme babiole

– Qu’est-ce que vous voulez que je vous rapporte d’Italie? a demandé Hajar quelques jours avant sa semaine de vacances dans sa ville natale, en Toscane.

– Pas besoin de me faire des cadeaux! a répondu Madame, ce qui me ferait plaisir c’est une photo de toi dans le décor de ta ville, tu trouveras sûrement un bel endroit!

Elle avait semblé satisfaite et convaincue.

Mais la semaine dernière, elle a offert cette minuscule voiturette surmontée d’une encore plus minuscule boule à neige.

Made in China.

Nul doute que si elle avait été Parisienne, elle aurait rapporté ceci:

Texte pour le devoir 158 de Monsieur le Goût qui proposait la photo d’une des faces kitchissimes de l’Arc de Triomphe.

***

Mais ne vous méprenez pas, Madame est tout de même émue de ce petit geste, et d’ailleurs « Je moet een gegeven paard niet in de bek kijken » dit très justement le proverbe en néerlandais, tu ne vérifies pas la dentition d’un cheval qu’on te fait cadeau 🙂

L comme Laura

La dame de l’accueil a vraiment de la chance, cette fois-ci comme la précédente l’artiste qui a créé son œuvre préférée de toute l’expo est venue pile-poil le jour où elle est de service.

En fait, elle est juste supposée noter le code postal des visiteurs – et bien sûr veiller à ce que tout reste intact – mais demander aux gens quel est leur code postal, ça ouvre souvent des possibilités de conversations.

Et ça, la dame de l’accueil ne s’en prive pas: c’est toujours agréable et intéressant.

– Je peux noter votre code postal? demande-t-elle à la personne qui s’approche de son petit comptoir à roulettes, et qui est suivie à trois pas par un couple assez âgé.

Grands gestes désespérés de la part de l’arrivante; à ses trois mots de français et d’anglais on entend qu’en fait elle est Italienne.

Et donc non seulement Italienne mais aussi l’artiste qui a créé l’œuvre des illustrations de ce billet, et dès que la question du comment et du pourquoi lui a été posée, sa physionomie a complètement changé: c’est avec un enthousiasme intarissable qu’elle a expliqué les origines, familiales et géographiques, l’importance des pierres, de certaines pierres, trouvées dans des grottes, de leur étude par un bisnonno et un grand-oncle, amoureux de leur coin de montagne et curieux du mystère des pierres de leur sous-sol.

Sur son site il y a une photo (ici) qui est un lien vers la vidéo Inframondo, où on voit la technique utilisée.

– C’est mon œuvre préférée, lui dit la dame de l’accueil, je la trouve belle et poétique, elle fait du bien.

ça faisait visiblement aussi du bien au papa et à la maman venus spécialement de Turin pour l’occasion 🙂

E comme excellent!

Excellente nouvelle! s’exclame l’Adrienne en lisant un article du Corriere annonçant qu’une ligne de train va bientôt relier Bari (Puglia) à Zeebrugge.

Deux mille kilomètres environ, quarante-huit heures de voyage.

C’est tout ce qu’elle a pu trouver comme info pour le moment, ni prix, ni parcours précis, ni haltes prévues, « la linea più lunga d’Europa » disent-ils fièrement, mais apparemment c’est pour le transport de marchandises. De Zeebrugge on peut continuer vers le Royaume-Uni ou l’Irlande et depuis Bari vers d’autres ports de la Méditerranée, en Grèce, Albanie, Turquie.

Voilà ce que l’Adrienne attend depuis longtemps, à force de regarder les documentaires « Viaggio nella bellezza » et de noter sur des feuillets tous les lieux de fouilles archéologiques qu’elle voudrait visiter…

Comme ils disent « è certamente un’esperienza di altri tempi« . A condition d’y rajouter quelques wagons de voyageurs…

Il faut juste craindre que l’avion reste encore et toujours moins cher: ces dernières semaines, les offres pour Barcelone à 16 € ou New York à 335 € refleurissent allègrement.

Y comme Y a qu’à pédaler!

A l’amie qui lui envoie un extrait d’émission télé répondant à la question « comment économiser sur le chauffage », l’Adrienne répond « Donc, y a qu’à pédaler », vu que la dernière recommandation consistait en l’acquisition d’un petit engin permettant de pédaler-pour-se-réchauffer alors qu’on est assis à travailler à son bureau.

Vous aussi, probablement, en avez marre de ce genre de conseils, tous bons à jeter, car soit vous les appliquez déjà depuis longtemps, soit ils sont plus ridicules qu’efficaces.

En Italie aussi on s’est bien gaussé du Corriere della sera quand on y a relayé la « recette » d’un prix Nobel pour cuire les pâtes sans se ruiner en gaz: ça s’appelle la « cottura passiva« , ce qui veut dire qu’on éteint le gaz dès l’ébullition. Et qu’on met le couvercle.

Bon, c’est vrai que les pâtes se ramollissent quand on les laisse dans l’eau, mais essayez et vous verrez: le résultat n’est pas top top.

Comme disait un des lecteurs, si tu gardes deux ou trois rigatoni en bouche pendant assez longtemps, ils finissent aussi par se ramollir…

Bref, les ventes de vêtements chauds montent déjà en flèche alors que d’habitude on arrive aux soldes de janvier avec des rayons encore pleins, à cause de l’hiver trop doux qui n’a incité personne à aller au portemonnaie.

Et l’électricien qui doit venir installer une nouvelle prise chez l’Adrienne ne trouve pas une minute pour le faire: depuis l’été il passe sa vie sur les toits à installer des panneaux solaires.

D’où le choix de l’illustration, une des (très) rares photos du père pendant la guerre de 40, avec son vélo… et avec son manque de tout, nourriture et charbon 😉

***

Pour ceux qui comprennent l’italien, il y a aussi Stefania qui vous explique comment économiser l’énergie en utilisant une couverture: vous arrêtez le gaz à mi-cuisson, vous emballez votre casserole dans une couverture – elle recommande celle en grosse laine tissée bien serré, qui vous vient de votre grand-mère – et votre préparation continue à se préparer toute seule 😉
ça marche pour tout, dit-elle, sauf les haricots secs et les pois chiches.

U comme umeur

Le soir, quand Madame allume son téléphone portable pour une dernière vérification, elle pourrait chaque fois gagner un pari: dès que Lynn la voit en ligne, arrivent ses messages:

– Je vous ai vue marcher en rue, vous aviez l’air bien contente!
– Ah oui, fait Madame, j’ai le sourire, en général, alors j’en reçois en retour, et même parfois je chante en marchant.

Lynn, plus rien ne l’étonne.
Et ça discute jusqu’à ce que Madame dise « bon, maintenant il faut dormir ».

Ensuite évidemment Madame ne dort pas, elle pense aux petits soucis de Lynn, mais bizarrement ces conversations la mettent de bonne humeur.
Ou plutôt umeur, comme on dit dans le dialecte du Val d’Aoste.

– Quelqu’un parmi vous est déjà allé au Val d’Aoste? demande Enzo, l’Italiano vero qui s’occupe du club de lecture italien.

Oui, le père de l’Adrienne y a emmené sa famille pour un aller-retour d’une journée, alors qu’ils étaient en vacances du côté de Chamonix et qu’une adresse valdostana lui était recommandée par un de ses guides culinaires.

Un repas mémorable, c’est vrai, dans une ferme où aucun menu n’était affiché et où des plats – savoureux mais gargantuesques – se succédaient sans qu’une parole puisse être échangée, pour cause de langue inconnue 😉

– Je pense, dit Lynn hier soir, que ma fille est déjà dans sa puberté!

La gamine a tout juste huit ans. Mais sa mère est une nature inquiète qui aime tirer ses enseignements médicaux d’internet.

– Elle n’était que 19e au cross de l’école, et normalement elle se bat pour être sur le podium.
– Elle est peut-être juste fatiguée? dit Madame, qui n’ose pas ajouter qu’elle mange trop gras et trop sucré et se couche trop tard.
– Je vais lui faire faire une prise de sang, dit-elle, elle avait soif, hier après l’école, j’ai peur du diabète.

En voilà une, se dit Madame, qui ferait mieux de lire des Gaston plutôt que encyclopédies médicales…

***

Texte écrit d’après une consigne de Joe Krapov – merci à lui – qui demandait
1. de lister 12 mots ou concepts qui nous mettent de bonne humeur ; chacun d’eux commence par une des premières lettres de l’alphabet (A B C D E F G H I J K L)
2. de dire pourquoi et comment survient la bonne humeur.

Je me suis basée sur les tags qui reviennent le plus souvent sur ce blog et ça donne ceci:

Amitié – Bruxelles – Chanson (chanter)DialectesÉlèves/Expo – Fleur(s) – Gaston/GastronomieHumourItalie/italienJeuKrapoverieLangue/Littérature.

En gras, vous l’aurez compris, ceux qui ont un rapport avec ce billet.

Dernières nouvelles siciliennes

Cri d’alarme sur le site de Liborio Butera: les fameux cannoli siciliani sont en danger!

En tout cas le seul véritable, l’artisanal, réalisé par un pâtissier sérieux qui prend la peine de frire la pâte lui-même et le jour même, au lieu d’acheter les cannoli tout faits et de se contenter de les farcir de la crème à la ricotta.

Parce que, voyez-vous, pour les frire on a besoin d’huile de tournesol, qu’il faut la changer souvent et qu’elle devient de plus en plus chère.

Il prévient ses lecteurs que d’autres fleurons de la gastronomie sicilienne courent le même danger de disparition prochaine, « potrebbe cessare la produzione anche di diverse prelibatezze dello street food siciliano, come i famosissimi arancini e i panzarotti fritti sia dolci che salati« .

Les arancini, on les connaît surtout grâce au Commissario Montalbano, dont c’est un des plats préférés mais les panzarotti (ou panzerotti) fritti sont autant réclamés – sinon plus – par les Pouilles ou la Calabre que par la Sicile.

Bref, depuis quinze jours l’Adrienne ne sait pas trop si elle a le droit d’en rire (quoi? c’est de cette sorte de conséquence-là qu’il faut s’inquiéter, quand une guerre fait rage à deux pas de chez soi?) alors elle a réécouté l’épisode lu par son auteur, Andrea Camilleri, décédé il y a juste trois ans.

Le défi du 20

Pour le 20 mars, Passiflore (merci, Passiflore!) demande trois chanteurs et tout naturellement l’Adrienne a pensé à regrouper trois Italo-belges.

Le premier est évidemment Adamo, dont on peut lire ici la biographie, au cas où on ne la connaîtrait pas bien, et voir toute la discographie.

Tombe la neige est un de ses tout premiers morceaux, le choix est large et ceux que l’Adrienne aime sont nombreux, ils font partie de la jeunesse de sa Tantine.

Ensuite il y a Frédéric François. Il a francisé son nom, Francesco Barracato, et s’est spécialisé dans les chansons d’amour Latin Lover 😉

En 1972, mini-Adrienne et son petit frère braillaient Laisse-moi vivre ma vie 🙂

Enfin, Claude Barzotti, né Francesco Barzotti, qui en 1975 a fait chavirer le cœur de midinette de l’Adrienne bien avant qu’elle ne soit une Madame… et tiens! il chavire encore 🙂

F comme f…

Ils étaient dix.

Guido avait pris une chaise pour s’y installer à califourchon, comme il l’avait vu faire par son père et son grand-père, là-bas, au village.
Marcello était venu s’asseoir à terre, à côté de lui, les pieds dans la rigole.
Matteo et Alessandro l’avaient imité.
Dans ce pays où ils étaient arrivés après la guerre, on récurait même les trottoirs, leur pantalon du dimanche ne craignait rien.

Peu à peu, d’autres gars s’étaient joints à eux.
Tous avaient le même air tendu.
Ils ne se parlaient pas.
Ils attendaient.
Vêtus de propre, bien coiffés, bien rasés.
Ils arrivaient même en cette occasion à se passer de leur cigarette.

Ils scrutaient le bout de la rue, le carrefour d’où allait surgir l’autocar venu d’Italie, avec à son bord les jeunes épouses que certains, comme Guido, n’avaient plus vues depuis plus de deux ans.

***

Texte écrit pour la photo et la consigne de Filigrane, merci à elle!

M comme Mander

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source ici

En 1604, deux ans avant sa mort, Karel van Mander, natif de Meulebeke (1) publie pour la peinture flamande ce que Vasari avait fait cinquante ans avant pour l’italienne, de sorte qu’il est aujourd’hui encore une bonne source de renseignements sur les peintres de son temps.

Peintre et poète, il a écrit son œuvre en vers. Comme il y donne aussi des tas de conseils, il y a ce passage amusant où il s’adresse aux jeunes peintres flamands qui s’apprêtent à faire le voyage en Italie (2):

Want Room is de Stadt, daer voor ander plecken
Der Schilders reyse haer veel toe wil strecken,

Car Rome est la Ville, vers laquelle avant toute autre se dirige le voyage des peintres.

Il prévient donc la jeunesse, en s’appuyant sur Pétrarque, que malgré leurs airs polis et gentils, il faut se méfier des Italiens:

Cleyn Herberghen, quaet gheselschap wilt vlieden,
En laet over u niet veel ghelts bespieden,
En u verre reyse verberght oock stille,
Zijt eerlijck en beleeft, vry van gheschille,
[…].
Leert over al kennen des Volcx manieren,
Het goede naevolghen, en vlieden t’quade,
Reyset vroech uyt, en wilt oock vroech logieren,
En om mijden plaghen oft vuyle dieren,
De bedden en lakens slaet neerstich gade:
maer sonderlinghe onthoudt u ghestade
Door lichte Vrouwen worden veel verdorven.
Van lichte Vrouwen, want boven de zonden
Mocht ghy zijn u leven daer van gheschonden.
(3)

Évitez les petites auberges et les mauvaises fréquentations, ne montrez pas tout votre argent, cachez aussi votre destination lointaine, soyez honnête et poli, ne vous disputez pas […]. Apprenez partout les usages locaux, suivez les bons, évitez les mauvais, partez de bon matin et cherchez tôt un logis, et pour éviter les maladies ou la vermine, vérifiez soigneusement les lits et les draps; mais surtout évitez toujours les femmes de mauvaise vie, car en plus du péché elles pourraient vous donner une maladie mortelle.

Karel van Mander, Het Schilder-Boeck waer in voor eerst de leerlustighe Jeught den grondt der Edel Vry Schilderconst in verscheyden deelen wort voorghedraghen, (Le livre de la peinture dans lequel on propose pour la première fois, en différentes parties, à la jeunesse avide de connaissances les fondements du noble et libre art de la peinture), extraits des paragraphes 66, 69 et 70. Traductions de l’Adrienne.

Bref, vous l’aurez compris: l’Adrienne a des envies d’Italie 😉

***

(1) Meulebeke, c’est près de là où habite l’Adrienne. Dans les années 1580, van Mander a dû quitter définitivement son patelin à cause des guerres qui ravageaient la contrée, qui a toujours été le champ de bataille favori des Français, des Espagnols et cette fois-là aussi des Hollandais, sous prétexte de religion.

(2) Il sait de quoi il parle puisqu’il l’a fait lui-même, le voyage, à l’âge de 25 ans, ainsi qu’un séjour à Florence, Terni et Rome, de 1573 à 1577.

(3) ce qui diffère surtout, entre le néerlandais de 1604 et celui d’aujourd’hui, c’est l’orthographe, et ici ou là un mot tombé en désuétude, comme ici ‘vlieden‘ ou ‘gestade‘.