
Pour la troisième fois de la semaine, l’Adrienne était en route pour le bureau du syndic – il faudra que demain elle vous fasse un billet pour vous relater ses premières expériences avec un syndic de copropriété – bref en route pour le centre ville elle choisit de passer par le parc.
Peu de monde en route en ce vendredi assez tôt dans la matinée, sauf deux petits enfants que l’Adrienne tout de suite tient à l’œil car elle a comme une prémonition qu’il vont piétiner les cyclamens en pleine floraison sous le grand hêtre pourpre.
Et vlan, dès que la petite fille (sept ans, peut-être) y pose le pied, l’Adrienne fait sa Madame et lui dit:
– Attention les fleurs!
Avec apparemment juste ce qu’il faut de sévérité pour être promptement obéie.
– Tu ne les trouves pas belles? lui demande l’Adrienne en souriant.
Oh si! ils les trouvent bien belles, la petite sœur et le grand frère (8 ou 9 ans? pas dix, en tout cas), qui se met à expliquer qu’à la maison ils ont des roses merveilleuses, avec du rouge, du jaune et même du noir alors l’Adrienne se montre admirative pour ces fleurs incroyablement drapeau belge.
– Et elles sentent bon aussi? demande-t-elle.
Oui, bien sûr qu’elles sentent bon aussi.
Alors l’Adrienne, tant qu’à faire sa Madame, y va à fond avec la question à zéro franc:
– Vous êtes contents de retourner bientôt à l’école?
Oh oui! fait la petite sœur.
Moi pas tellement, dit le gamin.
Alors il explique qu’il s’appelle El A***i et que dès qu’il y a une bagarre à la récré, c’est son nom qu’on crie, même s’il est tranquillement à discuter avec deux ou trois gars « de sa famille ».
– Ah ça c’est embêtant, fait l’Adrienne, je comprends… ce n’est pas chouette.
Puis il explique qu’il traîne cette réputation de son école précédente, d’où il a été renvoyé.
– Mais là, demande l’Adrienne, tu as envie de t’en défaire? Tu veux que ça cesse? Tu n’as pas un prof à qui tu peux en parler?
Si, bien sûr, mais c’est peine perdue, il l’a déjà essayé.
– En septembre tu changes de classe, tu auras un nouveau prof, tu devrais lui dire tout de suite tes bonnes intentions, ça ferait un effet très positif, crois-moi!
Bref, quand ils se sont quittés l’Adrienne avait le cœur pris et regrettait de ne pas avoir demandé nom complet, adresse de l’école et tout le toutim, qu’elle se mêle un peu de cette affaire 😉

Il a allumé une cigarette parce qu’il commençait à s’énerver à force de lui dire et redire sa façon de voir, tandis qu’elle restait aussi impassible et froide que la pierre sur laquelle ils étaient assis.
Pourquoi, nom de nom, ne réagissait-elle pas?
Comment savoir s’il l’avait convaincue?
Si elle comprenait et acceptait ses arguments?
On aurait dit qu’elle avait même cessé de respirer.
– Je comprends, finit-elle par dire, que tu ne veux pas et ne voudras jamais d’enfant.
Ce n’est qu’alors, en se penchant pour écraser sa cigarette sur le sol, qu’il aperçut la robe rose de la petite fille dans l’embrasure de la porte.
Depuis quand était-elle là?
Qu’avait-elle entendu et compris de leur conversation?