W comme WAT?

Parmi les nombreux travaux à faire pour devenir institutrice maternelle, Nabila en avait un dans le cadre d’un projet artistique.

D’une journée à Gand, elle avait rapporté des photos de grands murs peints.

Wat? dit Madame, alors qu’on a tous ces murs magnifiques ici, dans notre ville, et qu’en plus ils entrent parfaitement dans le cadre de ta formation!

Mais Nabila n’est pas au courant.
Ah bon? des murs peints? Ici? jamais vus!
Et créés par des illustrateurs de livres pour enfants?
Echt waar? Vraiment?

Bref, elle en avait sélectionné cinq – à Gand, donc – et devait en faire la présentation.

– Ce qui m’a le plus étonnée, dit-elle, c’est de constater qu’il y a aussi des femmes qui font des peintures murales.

Wat? refait Madame, toujours prête à tomber à la renverse d’étonnement. Wat? C’est une fille d’aujourd’hui qui me dit un truc pareil? Mais bien sûr que des femmes peignent! Les femmes savent tout faire! Absolument tout! dit-elle encore avec emphase et de grands gestes de bras – oui Madame parle avec tout son corps.

Alors samedi matin quand elle a vu ce tableau chez Monsieur le Goût elle a tout de suite pensé à la conversation avec Nabila: oui, les femmes savent tout faire, voyez donc celle-ci, avec sa faucheuse et sa pierre à aiguiser!

***

Encore merci à Monsieur le Goût d’avoir tenu le coup trois ans avec ses devoirs du lundi.

Wat? s’est-elle exclamée en lisant son billet, le 156e devoir du lundi sera le dernier?

Le défi du 20

Vous l’entendez dire « Vous me connaissez mal, la même ardeur me brûle et le désir s’accroît quand les fesses reculent » alors en toute logique vous êtes ahurie et vous vous demandez s’il le fait exprès ou si vraiment il ne se rend pas compte de ce qu’il profère.

Vous le trouvez lourd. Relou.

– Faudra m’expliquer, demande Madame aux filles de la classe, vous dites que vous détestez les « macho » mais vous voulez « un mec bien viril »?

Les filles accordent qu’en effet, c’est un peu contradictoire. Leur mec perso peut être un tout petit peu macho quand même. Mais pas les autres.

Les garçons ricanent.

Les garçons disent qu’ils sont convaincus de l’égalité des sexes.
Enfin, une certaine égalité.
Il y a des limites.

– Il y a des choses, disent-ils, qui ne sont pas pour les filles.

Ils n’aimeraient pas non plus que leur chef soit une femme.
Ou que leur femme gagne plus qu’eux.

Les filles ricanent.

Prendre toute la lumière?
Laisser l’autre dans l’ombre?
Lui faire de l’ombre?

L’égalité des sexes ne peut se concevoir que sans rapport de force, puisque « c’est ne pas régner qu’être deux à régner »

jeu d’ombre et de lumière sur le couple sur la digue d’Ostende avec l’ombre de Léopold II

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Illustration en haut de page et consignes de Monsieur le Goût pour son 154e devoir du lundi – merci à lui – et consigne « Ombre et lumière » chez Passiflore en ce 20 février – merci à elle!

La lumière de mes jours est une experte de la phrase ambiguë, comme « Minou ! Montre-moi ton machin ! » lancé en pleine rue à propos d’une chose que je viens d’acheter. Chaque fois elle est indignée et me jette à la face « Mais tu es relou !!! Ne crois pas je ne sais pas à quoi tu as pensé ! »
« Miss Tic », notre feue poétesse des rues de Paris et peut-être d’ailleurs aurait-elle eu de plus un talent de prescience ? À moins que ce ne soit dû à un long entraînement à la fréquentation du mâle de l’espèce.
Bien qu’amateur de kakemphaton, je ne vous infligerai pas le « Il voulut être César et ne fut que Pompée » de Clémenceau à la mort de Félix Faure. J’aimerais néanmoins que, comme le disait Polyeucte au début de l’acte I, vous commençassiez ce devoir par
«  Vous me connaissez mal : la même ardeur me brûle
    Et le désir s’accroît quand l’effet se recule »
Ce qui serait bien aussi serait que vous terminassiez par ce que dit Phottin dans « La mort de Pompée »: « Car c’est ne pas régner qu’être deux à régner »
À vous de le dire lundi…

L comme luth

Assise à table où sont posés quelques livres de musique, elle tient son luth à deux mains. Un des livres est tombé à terre mais elle ne s’en préoccupe pas.

Elle ne regarde pas non plus le luth: elle est en train de l’accorder, son oreille et ses doigts lui suffisent.

Ce qu’elle regarde, ce qui la préoccupe, est de l’autre côté de la fenêtre: ce qui l’intéresse se passe dehors.

En face d’elle, une autre chaise, encombrée d’une épaisse étoffe bleue. Au pied de la chaise, un violoncelle.

Si ce regard est celui de quelqu’un qui attend un partenaire pour une séance musicale, il faudra libérer la chaise.

Si elle ne libère pas la chaise, ne ramasse pas le livre, c’est qu’ils feront autre chose que de la musique 🙂

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source de la photo ici (libre de droits) – pour ceux que ça intéresse, une vingtaine d’excellentes minutes par Daniel Arasse sur Vermeer.

Stupeur et tremblements

Vendredi dernier, Madame avait invité Berthe chez elle pour lui demander conseil à propos des enfants qu’elle aide.

Berthe a l’expertise de presque quarante ans de carrière comme institutrice maternelle et elle a élevé deux fils.

Mais ce qui la préoccupe le plus aujourd’hui, c’est le problème d’être une fille – elle a deux petits-enfants, un garçon et une fille: dans le contexte actuel d’hypersexualisation – surtout des filles, et ce dès leur plus jeune âge – elle constate partout, dans tous les domaines, les diverses pressions exercées sur les filles, principalement au travers des médias « sociaux ».

Et ça l’inquiète beaucoup.

Coup de hasard (ou pas ;-)) à peine Berthe est-elle sortie de chez Madame que celle-ci découvre le tableau pour le 150e devoir de Monsieur le Goût.

Une belle visiteuse a déposé chapeau et manteau sur un fauteuil et a ouvert sa robe, qu’elle a laissé tomber jusqu’à mi-cuisse – défiant toutes les lois de la gravité – pour se montrer nue dans une pose lascive.

Devant un miroir: sans doute n’en a-t-elle pas chez elle et voulait-elle vérifier son épilation.

Tout ça est tout à fait normal, n’est-ce pas, qui n’a jamais fait ce coup-là en visite chez des gens, et en prévision – parce que c’était clairement prémédité – elle ne s’est encombrée d’aucun de ces nombreux dessous que les femmes portaient à l’époque. Pas même de bas 😉

Puis tout à coup Madame se souvient que le fils aîné de Berthe, quand il était son élève et que la classe avait été priée de choisir une œuvre d’art pour en parler au cours de FLE, avait montré l’Origine du monde.

P comme pruning shrubs

Voilà des années que l’Adrienne utilise uniquement ecosia comme moteur de recherche et qu’elle croit dans sa promesse: replanter des arbres.

Une ou deux fois au cours de ces années passées, elle a regardé ce genre de vidéo qui fait du bien.

« Pruning shrubs« , tailler les arbustes, c’est pour l’avenir de ses enfants, explique la dame, étant donné que la pluie vient à manquer et que les arbres disparaissent.

Trouver les arbustes de la bonne essence, les élaguer, les marquer pour qu’ils ne soient pas coupés mais qu’ils puissent pousser, offrir leur ombre et leur protection du sol.

Pour de meilleures récoltes maraîchères et la survie de la communauté.

M comme misogyne

L’Adrienne vient de recevoir quelques instructions concernant le voyage en Grèce et ce qui l’a un peu fâchée, c’est de lire que les femmes devront prévoir une jupe longue et un châle pour se couvrir le corps.

Entièrement.

Non, un pantalon ne suffit pas.

Et bien croyez-le ou pas, mais ça fait partie des choses qui l’énervent le plus et elle aimerait bien un jour prendre connaissance d’une religion qui ne considère pas la femme comme un être impur ou un suppôt de satan.

Elle a eu ce premier choc en 1990, dans une église roumaine, quand elle a voulu admirer l’iconostase.
Vivement retenue dans son élan par Violeta, l’amie roumaine: seuls les hommes ont le droit de s’approcher des icônes et du « sanctuaire ».
– Une femme, a-t-elle expliqué comme une chose tout à fait normale, est impure.

Bref, une burqa s’impose.

F comme fleur

C’est une fleur qui n’est pas une fleur, un ovule, une femme qui lit, le bleu de la nuit, des oiseaux dans le ciel, un vase, une libellule, une étoile au firmament… mais aussi un grillage.

Bref, c’est une illustration d’Isabel Bouttens, photographiée dans la ville de l’Adrienne, et choisie tout spécialement pour ce jour du 8 mars.

« L’art est l’ultime forme de l’espoir », a noté Gerhard Richter dans un texte pour l’expo Documenta 7 en 1982, traduit par Catherine Métais Bürhendt.
C’est la citation du mois, affichée à l’académie de musique: « Kunst is een hogere vorm van hoop« .

L’original allemand dit: « Die Kunst ist die höchste Form von Hoffnung« , l’art est la forme la plus haute/extrême d’espoir.

Question existentielle

Une blogamie lui ayant récemment offert ce livre, l’Adrienne s’est reposé une question largement débattue autrefois avec différentes personnes – directement ou indirectement concernées – sur la question du mariage mixte.

– Moi, lui avait dit S*** un jour – et ça l’avait beaucoup choquée – moi je ne veux absolument pas qu’une de mes filles épouse « un Belge ».

Elle disait « un Belge » alors qu’elle-même et tous les siens le sont, mais pour elle prime toujours leur origine tunisienne.

Selon S***, un mariage mixte, ça ne marche pas, parce que « c’est déjà bien assez difficile » entre gens de même culture.

Dans son livre, Cécile Oumhani semble lui donner raison: l’étudiante blonde épousée par Ridha, le Tunisien, se retrouve complètement déboussolée et isolée dans le pays de son mari, où elle doit rester entre les murs de sa maison, alors qu’elle a des diplômes universitaires et un grand appétit de se « rendre utile » en travaillant.

Même vécu, même échec, chez Riad Sattouf dans son excellente série autobiographique en bande dessinée, L’Arabe du futur, où on voit peu à peu le père qui se radicalise, comme on dit aujourd’hui.

D’où la question existentielle du jour: y aurait-il en littérature des exemples de mariages mixtes réussis?
Ou sont-ils tellement sans histoires qu’il est inintéressant d’en faire un livre 😉

https://ennalit.wordpress.com/2021/12/01/challenge-petit-bac-2022-qui-veut-jouer/

F comme f…

Ils étaient dix.

Guido avait pris une chaise pour s’y installer à califourchon, comme il l’avait vu faire par son père et son grand-père, là-bas, au village.
Marcello était venu s’asseoir à terre, à côté de lui, les pieds dans la rigole.
Matteo et Alessandro l’avaient imité.
Dans ce pays où ils étaient arrivés après la guerre, on récurait même les trottoirs, leur pantalon du dimanche ne craignait rien.

Peu à peu, d’autres gars s’étaient joints à eux.
Tous avaient le même air tendu.
Ils ne se parlaient pas.
Ils attendaient.
Vêtus de propre, bien coiffés, bien rasés.
Ils arrivaient même en cette occasion à se passer de leur cigarette.

Ils scrutaient le bout de la rue, le carrefour d’où allait surgir l’autocar venu d’Italie, avec à son bord les jeunes épouses que certains, comme Guido, n’avaient plus vues depuis plus de deux ans.

***

Texte écrit pour la photo et la consigne de Filigrane, merci à elle!

E comme Être ici…

Elle a été ici. Sur la Terre et dans sa maison.

Dans sa maison on peut visiter trois pièces. Leur accès est limité par des rubans de velours rouge. Sur un chevalet, une reproduction de son dernier tableau, un bouquet de tournesols et de roses trémières.

Elle ne peignait pas que des fleurs.

Une porte peinte en gris, fermée à clef, menait à un étage où j’imaginais des fantômes. Et quand on sortait de la maison, on les voyait, Paula et Otto, les Modersohn-Becker. Pas des fantômes mais des monstres, en habit d’époque, très kitsch à la fenêtre de leur maison de morts, par-dessus la rue, par-dessus nos têtes de vivants. Un couple de mannequins de cire, d’une laideur bicéphale à la fenêtre de cette jolie maison de bois jaune.

*

L’horreur est là avec la splendeur, n’éludons pas, l’horreur de cette histoire, si une vie est une histoire : mourir à trente et un ans avec une œuvre devant soi et un bébé de dix-huit jours.

Marie Darrieussecq, Être ici est une splendeur, vie de Paula M. Becker, éd. P.O.L, 2016 (incipit)

***

source de l’illustration et info sur le site de l’éditeur et premières pages à lire ici.

C’est court – ça se lit en une heure et demie à peine – c’est fort, c’est bien documenté et c’est nécessaire: qui connaît Paula Becker?

🙂

https://ennalit.wordpress.com/2021/12/01/challenge-petit-bac-2022-qui-veut-jouer/