(1) Fatal comme au 17e siècle, « Ma sœur du fil fatal eût armé votre main » c’est-à-dire voulu par les dieux et scellé par le destin et non pas cet autre sens du mot, comme dans ce vers de Mallarmé « J’aimerais être à qui le destin réserve vos secrets. »
Et voilà, en même temps on a répondu aux consignes du devoir de Monsieur le Goût qui s’adaptent fort bien à la pâtisserie, heureusement, vu qu’on n’a rien compris au tableau du jour 🙂
De temps en temps, parmi le nombre de nouvelles alarmantes, on en perçoit une qui concerne nos semences.
On entend par exemple qu’au fil des derniers siècles l’agro-alimentaire a « éliminé » des tas de variétés pour n’en retenir que quelques-unes – la banane cavendish, par exemple – de sorte que si une maladie, un champignon, un insecte s’en mêlait, la production mondiale s’en trouverait compromise.
Il est donc important de sauvegarder le plus possible d’espèces et de semences de toutes sortes de fruits, de légumes, de céréales.
L’Adrienne ne savait pas que cette menace visait aussi le haricot mais apparemment toutes les sortes que nous consommons sont des phaseolus vulgaris et il est temps de promouvoir, cultiver, consommer, tester chez soi d’autres variétés, dites « sauvages ».
La dame blanche, c’était le dessert préféré du grand-père: une glace vanille arrosée de chocolat fondu – beaucoup de chocolat – et servie avec de la chantilly.
– Pour moi ce sera une dame blanche! déclare-t-il bien fort un jour que toute la famille est attablée dans un restaurant quelque part en France. – Une dame blanche! siffle la mère, ils ne connaissent pas ça, ici!
En effet, le serveur ne connaissait pas.
Par contre si vous allez à Lille, chez Lebon-bon, par exemple, pour y manger des œufs au maroilles ou des carbonnades flamandes, au moment du dessert vous pouvez dire bien fort, à la manière du grand-père:
– Pour moi, ce sera une dame blanche!
Ils connaîtront.
Mais dites-leur aussi qu’il est temps de mettre du double vitrage 😉
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Écrit pour la photo de @ Fred Hedin chez Bricabook 426 – merci à eux!
– Et demain, qu’est-ce qu’on va manger? soupirait grand-mère Adrienne alors qu’on finissait tout juste le repas de midi.
La notion de « charge mentale » n’avait pas encore été inventée mais jamais elle ne se serait plainte d’avoir à l’assumer, car vous connaissez l’adage: « Mariage sans tapage, mariage sans nuage »!
Le choix du menu était toujours dicté par les légumes de saison – encore une idée qu’on veut nous servir comme neuve! – et en second lieu par les jours de la semaine.
Même si Vatican II était passé par là, grand-mère Adrienne continuait de « faire maigre » le vendredi, voilà déjà un jour de moins pour lequel il fallait se poser la question « Et demain, qu’est-ce qu’on va manger?« : ce serait des épinards avec des œufs ou du hareng avec une salade.
Le dimanche non plus il ne fallait pas se casser la tête, c’était le jour des frites.
Restaient les cinq autres, où il fallait d’abord voir de quels légumes on disposait – l’arrière-grand-père avait un grand potager et grand-mère faisait des conserves – puis y associer la viande, selon ses critères strictement personnels, la carotte ou le poireau avec la côtelette de porc, le chou rouge, vert ou blanc avec la saucisse, le haricot ‘princesse‘ ou le salsifis avec le steak.
Le moment le plus difficile de l’année était la période qui vient en ce moment: à la mi-mars, l’hiver se termine, les conserves aussi, et le jardin n’est que tout juste ensemencé.
C’est le moment où mini-Adrienne est le dindon: dans le bouillon flotte la peau des derniers haricots blancs du grenier, dans le fond de l’assiette devenue froide on trouve des trucs grumeleux qui grattent la gorge et refusent de descendre dans l’estomac.
On l’envoie donc avec son assiette dans le kot, où elle se promet solennellement que quand elle sera grande, plus jamais elle ne mangera de soupe!
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Écrit pour l’Agenda ironique de février selon les consignes de Carnets Paresseux – merci à lui – qui demandait des légumes, des jours de la semaine, quatre mots imposés (nuage, tapage, dindon, bouillon) et une image à colorier d’Elena Pavlona Guertick – source de l’image Gallica.
D’abord, parlons du père, le point de référence, le dictionnaire, l’encyclopédie, le wikisaitout jusqu’à l’adolescence de l’Adrienne.
C’est sûrement de lui qu’on tient cet amour des langues et des mots.
Tutti frutti, par exemple, a dû être la première chose jamais entendue en italien.
Glace tutti frutti, disait le menu, les amis avaient dû trouver que ça faisait plus gastronomique en italien.
Ce qui n’avait pas empêché mini-Adrienne d’être déçue : les frutti en question étaient confits, résistaient sous la dent et coloraient vaguement de vert et de rouge la blancheur de la glace.
Ensuite, parlons du beau-père, le point de référence pour une autre sorte de fruits, les frutti di mare, avec ses opinions bien arrêtées sur la hiérarchie des vrais bons produits de la marée: La langoustine et le crabe sont meilleurs que le homard. Les crevettes grises sont une délicatesse.
Amen.
Les goûts, ça ne se discute pas!
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Écrit pour l’Agenda ironique de janvier, proposé par Tiniak – merci à lui – qui demandait un minimum de 150 mots (ce que j’ai fait, exactement, ci-dessus) et un maximum de 223 (ce que vous trouverez exactement ci-dessous). Parmi les mots imposés, il y a frutti di mare, tutti frutti, marée, crabe et amen.
En illustration, une photo prise à Ostende d’un de ces derniers petits bateaux qui sortent le soir et rentrent au petit matin avec la pêche de la nuit et les crevettes cuites à bord.
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D’abord, il faut parler du père, point de référence, dictionnaire, encyclopédie et wikisaitout jusqu’à l’adolescence de l’Adrienne.
Après bien sûr on découvre d’autres sources de savoir et on arrive à cet âge bête où on croit qu’on en sait au moins autant que lui.
On le consulte encore, parce qu’on sait que ça lui fait plaisir. Parce qu’on l’aime.
C’est sûrement de lui qu’on tient cet amour des langues et des mots.
Tutti frutti, par exemple, a dû être la première chose jamais entendue en italien.
Bombe glacée tutti frutti, disait le menu, les amis avaient dû trouver que ça faisait plus gastronomique en italien.
Ce qui n’avait pas empêché mini-Adrienne d’être déçue : elle ne voyait pas le rapport avec une bombe et les frutti en question étaient confits, résistaient sous la dent et coloraient vaguement de vert et de rouge la blancheur de la glace.
Ensuite, il faut parler du beau-père, le point de référence pour une autre sorte de fruits, les frutti di mare, avec ses opinions bien arrêtées sur la hiérarchie des vrais bons produits de la marée, celle de la nuit précédente, cela va sans dire: – la langoustine et le crabe sont meilleurs que le homard – les crevettes grises de la mer du Nord sont une délicatesse unique au monde.
Quand le grand-père emmenait sa petite famille au restaurant, en mai et en octobre, grand-mère Adrienne était toujours la première à refermer le menu.
– Tu as déjà tout lu ? demandait grand-père.
– Tu sais déjà ce que tu veux prendre ? demandait sa fille.
– Je prendrai comme vous, répondait-elle.
Elle savait bien que les autres finiraient par tomber d’accord sur le « menu gastronomique » en sept services – si pas neuf, l’époque n’était pas encore diététique – et que c’était de toute façon le même menu pour toute la table.
Par contre, ce qu’elle ne manquait pas d’avoir repéré, malgré sa lecture rapide, c’est « qu’il n’y avait de nouveau pas de patates ».
Puis en douce, à Mini-Adrienne assise à côté d’elle, elle soufflait :
– Tu as vu ? Il est marqué « Farandole de desserts »! C’est ça qui va être bon !
Et ses yeux brillaient.
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écrit pour le Défi du samedi 749 où Walrus – merci à lui – proposait le mot farandole.
Si l’Adrienne est si souvent tentée de photographier des devantures de pâtisseries, c’est toujours en pensant avec émotion à sa grand-mère, « een zoet mondje« , comme elle disait, « une petite bouche sucrée ».
Celle-ci est une pâtisserie bruxelloise, près de la grand-place, où on propose des « merveilleux » 😉
A l’amie qui lui envoie un extrait d’émission télé répondant à la question « comment économiser sur le chauffage », l’Adrienne répond « Donc, y a qu’à pédaler », vu que la dernière recommandation consistait en l’acquisition d’un petit engin permettant de pédaler-pour-se-réchauffer alors qu’on est assis à travailler à son bureau.
Vous aussi, probablement, en avez marre de ce genre de conseils, tous bons à jeter, car soit vous les appliquez déjà depuis longtemps, soit ils sont plus ridicules qu’efficaces.
En Italie aussi on s’est bien gaussé du Corriere della sera quand on y a relayé la « recette » d’un prix Nobel pour cuire les pâtes sans se ruiner en gaz: ça s’appelle la « cottura passiva« , ce qui veut dire qu’on éteint le gaz dès l’ébullition. Et qu’on met le couvercle.
Bon, c’est vrai que les pâtes se ramollissent quand on les laisse dans l’eau, mais essayez et vous verrez: le résultat n’est pas top top.
Comme disait un des lecteurs, si tu gardes deux ou trois rigatoni en bouche pendant assez longtemps, ils finissent aussi par se ramollir…
Bref, les ventes de vêtements chauds montent déjà en flèche alors que d’habitude on arrive aux soldes de janvier avec des rayons encore pleins, à cause de l’hiver trop doux qui n’a incité personne à aller au portemonnaie.
Et l’électricien qui doit venir installer une nouvelle prise chez l’Adrienne ne trouve pas une minute pour le faire: depuis l’été il passe sa vie sur les toits à installer des panneaux solaires.
D’où le choix de l’illustration, une des (très) rares photos du père pendant la guerre de 40, avec son vélo… et avec son manque de tout, nourriture et charbon 😉
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Pour ceux qui comprennent l’italien, il y a aussi Stefania qui vous explique comment économiser l’énergie en utilisant une couverture: vous arrêtez le gaz à mi-cuisson, vous emballez votre casserole dans une couverture – elle recommande celle en grosse laine tissée bien serré, qui vous vient de votre grand-mère – et votre préparation continue à se préparer toute seule 😉 ça marche pour tout, dit-elle, sauf les haricots secs et les pois chiches.
Alors, alors… y a-t-il encore quelque chose à ajouter sans se répéter?
Par un hasard – qui n’en est évidemment pas un – l’Adrienne l’autre jour était à Bruxelles où elle est bien évidemment entrée à la librairie Tropismes alors que chaque fois elle se dit non, non, faut pas que j’y entre.
La première fois qu’elle a parlé de ce lieu de perdition, photo à l’appui, c’était probablement en 2010, ceci dit entre parenthèses.
Fontaine je ne boirai pas de ton eau! Cachez ces livres que je ne saurais voir! Vade retro, satanas!
Elle qui dit à tout le monde « je n’achète plus de livres, je ne sais plus où les mettre », est ressortie de là avec le dernier Delerm.
Et oui.
Et vous savez ce que dit son bandeau publicitaire orange, signé François Busnel?
« Un livre absolument délicieux. »
Bon appétit!
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écrit pour l’Agenda ironique de septembre, cette fois-ci tenu par Mijo qui demande de parler des premières fois, tout comme Delerm, mais culinairement.
Photo prise à Bruxelles: une table apprêtée pour un festin artistique.
Que de fois n’a-t-on reproché à Mini-Adrienne de « manger avec les yeux »!
– Keskesèksa? Moi n’aime pas ça! singeaient les parents, encore vingt ans après qu’elle avait osé un jour employer cette expression devant une assiette de champignons malodorants qui baignaient tout noircis dans un jus aqueux et brunâtre.
Il suffisait qu’elle mette le nez dans une assiette au lieu de l’attaquer tout de suite avec couteau et fourchette pour qu’ils la lui ressortent, cette petite phrase.
Mais ils se trompaient!
Bien sûr, « het oog wilt ook wat » (1), c’est agréable et appétissant qu’un plat soit joli, mais le plus important, c’est le nez.
Et le nez de la petite fille de cinq ans se trouve beaucoup plus près de l’assiette que le nez d’un corps adulte 😉
Alors imaginez le bonheur de l’ex-petite fille quand grâce à Walrus et à sa consigne pour demain elle peut enfin mettre un mot sur ce qu’elle est: nareuse!
Même si la définition du Robert lui semble un peu trop unilatérale: « (Nord-Est, Belgique) (Personne) qui se montre difficile quant à la propreté de la nourriture et des couverts ; qui éprouve facilement du dégoût. »
Étant donné que l’étymologie remonte au mot ‘nez’ (2), le sens et la définition devraient plutôt être « (Personne) qui se montre difficile quant à l’odeur de la nourriture et qui éprouve facilement du dégoût si l’odeur lui déplaît. » 🙂
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(1) littéralement, ça peut se traduire par « l’œil aussi veut quelque chose », on l’utilise pour souligner l’importance de l’aspect esthétique d’une réalisation, et pas seulement sa fonctionnalité.
(2) nez en latin se dit ‘nasus’ et narine est ‘naris’ en latin classique, ‘narina’ en latin populaire.
Cri d’alarme sur le site de Liborio Butera: les fameux cannoli siciliani sont en danger!
En tout cas le seul véritable, l’artisanal, réalisé par un pâtissier sérieux qui prend la peine de frire la pâte lui-même et le jour même, au lieu d’acheter les cannoli tout faits et de se contenter de les farcir de la crème à la ricotta.
Parce que, voyez-vous, pour les frire on a besoin d’huile de tournesol, qu’il faut la changer souvent et qu’elle devient de plus en plus chère.
Il prévient ses lecteurs que d’autres fleurons de la gastronomie sicilienne courent le même danger de disparition prochaine, « potrebbe cessare la produzione anche di diverse prelibatezze dello street food siciliano, come i famosissimi arancini e i panzarotti fritti sia dolci che salati« .
Les arancini, on les connaît surtout grâce au Commissario Montalbano, dont c’est un des plats préférés mais les panzarotti (ou panzerotti) fritti sont autant réclamés – sinon plus – par les Pouilles ou la Calabre que par la Sicile.
Bref, depuis quinze jours l’Adrienne ne sait pas trop si elle a le droit d’en rire (quoi? c’est de cette sorte de conséquence-là qu’il faut s’inquiéter, quand une guerre fait rage à deux pas de chez soi?) alors elle a réécouté l’épisode lu par son auteur, Andrea Camilleri, décédé il y a juste trois ans.