P comme Piter

V comme voyage! voyage!

A la sortie du magasin, il y a parfois des boites que le client peut emporter et qui sont bien utiles pour les jours de ramassage du papier et du carton, alors l’Adrienne, hop! en saisit une.

En cours de route, elle essaie de déchiffrer ce qu’il y a eu dedans.

морковь, lit-elle, ce qui lui rappelle le mot roumain, morcovi, qui veut dire carottes.
Puis la mention « made in China ».
Il ne pouvait donc s’agir de vraies carottes 😉

Rentrée chez elle, elle examine la chose: il s’agit de minions en forme de carotte (voir la photo prise sur e-bay), fabriqués en Chine et exportés vers la Russie, l’Italie, le Brésil et le Mexique.

On peut supposer que l’acheteur italien distribue en Europe ces petits machins – dix par boite, poids net total 1,1 kg – destinés à faire acheter plus et qui se retrouvent ensuite sur e-bay 😉

C’est ce qu’on appelle système capitaliste.

L comme Lessia

« Contra spem spero » est le titre d’un poème de Lessia Oukraïnka (1871-1913) et on pourrait le traduire par ‘garder l’espoir même quand il n’y a plus d’espoir‘.

Il est lu en ukrainien dans la vidéo ci-dessus, une langue que peu connaissent par ici, probablement, mais ça permet d’entendre ‘comme ça sonne’ 🙂

La traduction ci-dessous a été fait avec l’aide de DeepL translator et modifiée à l’aide d’une traduction trouvée en anglais.

Fuyez, sombres pensées, nuages d’automne !
Voici le printemps doré !
Est-ce dans le regret et les lamentations
Que mes jeunes années passeront ?

Non, je veux rire à travers mes larmes,
Je veux chanter des chansons au milieu de la misère,
Et espérer sans espoir,
Je veux vivre ! Fuyez, sombres pensées !

Sur cette terre pauvre et triste
Je sèmerai des fleurs colorées,
Je sèmerai des fleurs dans le froid,
Je verserai sur elles des larmes amères.

Et ces larmes brûlantes feront fondre
L’épaisse couche de glace,
Peut-être que des fleurs germeront et pousseront
Que j’aie aussi un joyeux printemps.

Sur la haute montagne de roche et de silex
Je porterai une lourde pierre
Et en traînant ce grand poids,
Je chanterai un air joyeux.

Dans la longue nuit noire, je ne verrai rien
Je ne fermerai pas les yeux un seul instant.
Je chercherai toujours l’étoile qui me guide,
Et rayonne fièrement dans la nuit sombre.

Oui, je sourirai malgré mes larmes,
Je chanterai malgré mes problèmes,
Et je garderai l’espoir même quand il n’y a plus d’espoir,
Je vivrai ! Fuyez, tristes pensées !

***

Pour ceux que l’original intéresse ou qui voudraient tester DeepL 😉

Гетьте, думи, ви хмари осінні!
То ж тепера весна золота!
Чи то так у жалю, в голосінні
Проминуть молодії літа?

Ні, я хочу крізь сльози сміятись,
Серед лиха співати пісні,
Без надії таки сподіватись,
Жити хочу! Геть, думи сумні!

Я на вбогім сумнім перелозі
Буду сіять барвисті квітки,
Буду сіять квітки на морозі,
Буду лить на них сльози гіркі.

І від сліз тих гарячих розтане
Та кора льодовая, міцна,
Може, квіти зійдуть — і настане
Ще й для мене весела весна.

Я на гору круту крем’яную
Буду камінь важкий підіймать
І, несучи вагу ту страшную,
Буду пісню веселу співать.

В довгу, темную нічку невидну
Не стулю ні на хвильку очей —
Все шукатиму зірку провідну,
Ясну владарку темних ночей.

Так! я буду крізь сльози сміятись,
Серед лиха співати пісні,
Без надії таки сподіватись,
Буду жити! Геть, думи сумні!

source ici.

La traduction anglaise est celle-ci:

Thoughts away, you heavy clouds of autumn!
For now springtime comes, agleam with gold!
Shall thus in grief and wailing for ill-fortune
All the tale of my young years be told?

No, I want to smile through tears and weeping.,
Sing my songs where evil holds its sway,
Hopeless, a steadfast hope forever keeping,
I want to live! You thoughts of grief, away!

On poor sad fallow land unused to tilling
I’ll sow blossoms, brilliant in hue,
I’ll sow blossoms where the frost lies, chilling,
I’ll pour bitter tears on them as due.

And those burning tears shall melt, dissolving
All that mighty crust of ice away.
Maybe blossoms will come up, unfolding
Singing springtime too for me, some day.

Up the flinty steep and craggy mountain
A weighty ponderous boulder I shall raise,
And bearing this dread burden, a resounding
Song I’ll sing, a song of joyous praise.

In the long dark ever-viewless night-time
Not one instant shall I close my eyes,
I’ll seek ever for the star to guide me,
She that reigns bright mistress of dark skies.

Yes, I’ll smile, indeed, through tears and weeping
Sing my songs where evil holds its sway,
Hopeless, a steadfast hope forever keeping,
I shall live! You thoughts of grief, away!

source ici.

Le magazine littéraire néerlandais Dietse Warande & Belfort a consacré son numéro de juin 2023 à la littérature ukrainienne et lui a choisi ce titre, Contra spem spero.

7 phrases

Posso dirti, amore, che non mi sono mai svegliato con una donna mia al fianco, che chi ho amato non mi ha mai preso sul serio, e che ignoro lo sguardo di riconoscenza che una donna rivolge a un uomo?

Puis-je te dire, mon amour, que jamais je ne me suis réveillé avec à mes côtés une femme à moi, que quand j’ai aimé je n’ai jamais été pris au sérieux et que j’ignore le regard de reconnaissance qu’une femme adresse à un homme?

E ricordarti che, per via del lavoro che ho fatto, ho avuto i nervi sempre tesi, e la fantasia pronta e precisa, e il gusto delle confidenze altrui?

Et te rappeler qu’avec le travail que j’ai fait, j’ai toujours eu les nerfs tendus, et l’imagination prompte et précise, et le goût des confidences d’autrui?

E che sono al mondo da quarantadue anni?

Et que je suis dans ce monde depuis quarante-deux ans?

Non si può bruciare la candela dalle due parti – nel mio caso l’ho bruciata da una parte sola e la cenere sono i libri che ho scritto.

On ne peut brûler la chandelle par les deux bouts – dans mon cas je l’ai brûlée par un seul côté et les cendres sont les livres que j’ai écrits.

Tutto questo te lo dico non per impietosirti – so che cosa vale la pietà, in questi casi – ma per chiarezza, perché tu non creda che quando avevo il broncio lo facessi per sport o per rendermi interessante.

Tout ceci je ne te le dis pas pour t’apitoyer – je sais ce que vaut la pitié, en pareil cas – mais pour être clair, pour que tu ne croies pas que quand je boudais, je le faisais par jeu ou pour me rendre intéressant.

Sono ormai di là dalla politica.

Désormais je suis au-delà de la politique.

L’amore è come la grazia di Dio – l’astuzia non serve.

L’amour est comme la grâce de Dieu – ruser est inutile.

Extrait de la dernière lettre de Cesare Pavese (1908-1950) à Romilda Bollati

traduction de l’Adrienne.

P comme Pevernage

Andreas Pevernage est né à Harelbeke, près de Courtrai, en 1542 – ou peut-être était-ce en 1543, pour cette date on se base sur son âge au moment de son décès, le 30 juillet 1591, à Anvers.

Il est un de ces nombreux polyphonistes flamands qui connaissent du succès partout en Europe pendant la Renaissance et sont souvent employés en Italie, comme Willaert à Venise ou de Rore à Parme.

Mais contrairement aux autres, Andreas Pevernage n’a jamais quitté le pays: il a fait carrière à Bruges, Courtrai et Anvers, obligé de changer de ville chaque fois que les guerres de religion entre protestants et catholiques l’en chassaient.

Rester au pays ne l’a pas empêché de suivre la mode des madrigaux italiens, qu’il a lui aussi mis en musique, comme le madrigal de la vidéo, qui est un poème de Ludovico Ariosto, extrait de son Orlando furioso, chant XXXIII, 63:

Il dolce sonno mi promise pace,
ma l’amaro veggiar mi torna in guerra:
il dolce sonno è ben stato fallace,
ma l’amaro veggiar, ohimè! non erra.
Se ’l vero annoia, e il falso sì mi piace,
non oda o vegga mai più vero in terra:
se ’l dormir mi dà gaudio, e il veggiar guai,
possa io dormir senza destarmi mai.

Le doux sommeil me promettait la paix,
Mais la vision amère me ramène à la guerre.
Le doux sommeil a été bien mensonger,
Alors que la vision amère, hélas, ne se trompe pas.
Si le vrai m’ennuie et le faux me plaît,
Que je n’entende ni ne voie plus jamais la vérité sur terre;
Si le sommeil me donne de la joie et la vue des problèmes,
(Faites) que je puisse dormir sans plus jamais me réveiller.

(traduction de l’Adrienne)

***

Vous ne connaissiez pas ce Pevernage?

C’est normal, moi non plus 🙂

C’est pour ça aussi qu’on va au concert, n’est-ce pas, pour faire des découvertes.

F comme fou rire

Aux séances de lecture organisées pour toucher des (non) lecteurs, l’Adrienne est généralement la seule à rigoler.

Prenez mercredi dernier, par exemple, et cette histoire d’une riche dame anglaise en voyage aux Indes britanniques: comme elle a une envie folle de « faire plus fort » que son ennemie intime, elle s’arrange pour qu’un village lui procure un tigre, de préférence vieux, à moitié sourd et aveugle, qu’elle pourra tirer tout à son aise alors qu’il s’approchera d’une chèvre qu’on aura attachée à un pieu.

L’Adrienne donc rigolait en entendant Nadine faire la lecture:

« La seule grande source d’anxiété [des villageois] était qu’il vînt à mourir de vieillesse avant la date prévue pour la partie de chasse de la memsahib. Des mamans qui
ramenaient chez elles leurs bébés à travers la jungle chantonnaient plus bas de crainte d’abréger le sommeil réparateur du vénérable voleur de bétail. »

Pourquoi la douzaine d’autres personnes restaient de glace, elle ne le comprenait pas.

– C’est pas mon style, dit l’une.

– C’est exagéré, dit l’autre.

Nadine continue de lire et l’Adrienne de rigoler:

« Une chèvre douée d’un bêlement particulièrement persistant et d’un volume tel qu’on pût raisonnablement s’attendre à ce qu’il fût perceptible par une nuit calme même par un tigre partiellement sourd, avait été attachée à la distance voulue. Munie d’un fusil à lunette bien réglée et d’un paquet de cartes minuscules pour faire des réussites, la chasseresse attendait l’arrivée du gibier. »

Etc.

Vous pouvez juger vous-mêmes si vous le trouvez humoristique, la traduction en français est ici, et l’original en anglais est .

M comme Miroslav

Photo de Pixabay sur Pexels.com

Brève réflexion sur l’exactitude

Les poissons
remontent les rivières au moment exact à l’endroit exact d’où ils viennent.
Les oiseaux aussi
ont cette connaissance innée de l’exactitude du temps et du lieu.

Mais les gens,
privés de leur instinct, s’aident
de recherches scientifiques. Voilà la clé
de cette histoire.

Un soldat
devait tirer un coup de canon chaque soir à six heures précises.
Ce qu’il faisait comme il sied à un soldat. Quand sa
ponctualité a été testée, il a déclaré:

Je me base
sur le chronomètre absolument exact dans l’étalage
de l’horloger de la ville. Chaque jour à dix-sept heures
quarante-cinq, je règle ma montre sur lui et
je grimpe la colline où se trouve le canon.
A dix-sept heures cinquante-neuf exactement, j’arrive au canon
et à dix-huit heures précises je fais feu.

Il s’est avéré
que cette manière de tirer était parfaitement exacte.
Seul le chronomètre devait encore être inspecté. Donc
on a questionné l’horloger de la ville sur l’exactitude
de sa montre.

Oh, dit l’horloger,
cette montre est l’exactitude même. Imaginez,
ça fait des années qu’ici on tire au canon à six heures précises.
Et chaque jour je vérifie le chronomètre
et il indique toujours exactement six heures.

Voilà pour l’exactitude.
Et les poissons remontent les rivières et le ciel résonne
du bruissement des ailes d’oiseaux, pendant que

Les chronomètres font tic-tac et les canons des coups de tonnerre.

Miroslav Holub (1923-1998)

Poème traduit par l’Adrienne à partir d’une traduction en néerlandais mais pour ceux qui connaissent le tchèque, la version d’origine se trouve ci-dessous 🙂

Le titre en néerlandais ainsi que celui en tchèque contiennent le lien qui mène à leur source.

BEKNOPTE BESCHOUWING OVER EXACTHEID

Vissen
trekken altijd exact daarheen en exact dan,
zo hebben ook
vogels een ingebouwd exact tijdsbesef en
plaatsbesef.

Maar mensen,
beroofd van hun instinct, behelpen zich
met wetenschappelijk onderzoek. Dat is de kern
van dit verhaal.

Een zekere soldaat
moest een kanon afvuren elke avond klokslag zes.
Dat deed hij zoals ’t een soldaat betaamt. Toen zijn
exactheid werd getest, meldde hij:

Ik richt me
naar de volstrekt exacte chronometer in de etalage
van de klokkenmaker in de stad. Elke dag om zeventien
vijfenveertig zet ik mijn horloge ermee gelijk en
klim de heuvel op waar het kanon klaarstaat.
Om zeventien negenenvijftig exact bereik ik het kanon
en om achttien uur exact vuur ik af.

Gebleken is
dat deze wijze van afvuren volstrekt exact is.
Alleen de chronometer moest nog worden onderzocht. Dus
vroeg men de klokkenmaker in de stad naar de exactheid
van dat uurwerk.

O, zei de klokkenmaker,
dit uurwerk is het allerexactst. Stel u voor,
al jaren wordt hier exact om zes uur een kanon afgevuurd.
En elke dag kijk ik naar de chronometer
en die wijst altijd exact op zes.

Tot zover over exactheid.
En vissen trekken door het water en uit de hemel klinkt
geruis van vleugels, terwijl

Chronometers tikken en kanonnen bulderen.

Strucná úvaha o presnosti
 
Ryby
 vždycky táhnou přesně tam a přesně tehdy,
jakož i
ptactvo má vestavenou přesnou časomíru a
zeměmíru.
Lidstvo pak,
 ochuzeno o pudy, vypomáhá si činností
vědeckovýzkumnou. K její podstatě odnáší se
tento příběh.
Jistému vojínovi
 bylo vypáliti z děla vždy v šest večer přesně.
Činil tak, jsa vojínem. Když byla zkoumána
jeho přesnost, uvedl:
Řídím se
 naprosto přesným chronometrem, který chová ve výkladu
hodinář dole ve městě. Každý den v sedmnáct
čtyřicet pět nařídím podle něho své hodinky a
ubírám se na kopec, kdež dělo stojí pripraveno.
Přesně v sedmnáct padesát devět dojdu k dělu
a přesně v osmnáct vypálím.
I shledáno,
 že tento způsob vypálení jest naprosto přesný.
Jen onen chronometr bylo ještě prověřit. I
dotázán hodinář, dole ve městě, po přesnosti
onoho stroje.
Ó, pravil hodinář,
 tento přístroj je z nejlepších vůbec. Představte si,
už od let se tu přesně v šest střílí z děla.
A já káždého dne pohlédnu na onen chronometr,
a on vždy ukazuje přesně šest.
Tolik o přesnosti.
 A ve vodách táhnou ryby a z nebes ozývá se
šumění křídel, zatímco
Tikají chronometry a hřmí děla.

Pour ceux qui veulent voir ce que g**gl* tr*nsl*t* fait de ce texte tchèque, c’est ici 🙂

P comme Prof et Poète

Il est décédé cette année à l’âge de 42 ans, le 22-02-2022, de cette maladie qui souvent ne pardonne pas.
Il était prof et poète, le journal De Morgen publiait ses vers chaque jour de la semaine.

Le poème ci-dessous fait partie de ses derniers publiés, c’était au mois de janvier, P* n’avait pas encore envahi l’Ukraine.
Pourtant le titre est Poetin & co, Poutine et compagnie.

Zo is ’t altijd al gegaan
en zo zal het altijd blijven –
wat historici beschrijven,
wat er in de krant zal staan.

Mannen met een hart van steen
en een ruimbemeten ego
spelen laconiek Stratego
met de wereld om hen heen.

Winnaars, machtig en infaam,
die de spelregels verzinnen
of omzeilen om te winnen.
De verliezer heeft geen naam.

(Stijn De Paepe, Dagvers – « le vers du jour, frais du jour » qui paraissait quotidiennement dans le journal De Morgen – celui-ci a comme titre Poetin & co et a paru le 29 janvier 2022)

Ci-dessous l’Adrienne fait une tentative de traduction:

Il en a toujours été ainsi
et ce sera toujours ainsi –
ce que les historiens décrivent,
ce qu’il y aura dans le journal.

Des hommes au cœur de pierre
et à l’égo surdimensionné
jouent un Stratégo, laconiques,
avec le monde autour d’eux.

Des gagnants, puissants et infâmes,
qui inventent les règles
ou les contournent pour vaincre.
Le perdant n’a pas de nom.

I comme « I didn’t »

L’organisatrice le présente comme un poème datant de 1915, écrit par une femme dont l’Adrienne n’a pas noté le nom, mais chez Wikisaitout on trouve des choses légèrement différentes concernant date et auteurs.

Et surtout qu’en fait, c’est une chanson.

Ce qui fait qu’on la trouve en mille et une versions, comme celle choisie en illustration, puisque ce ne sont pas les guerres et autres conflits armés qui manquent.

I didn’t raise my boy to be a soldier,
I brought him up to be my pride and joy.
Who dares to place a musket on his shoulder,
To shoot some other mother’s darling boy?
Let nations arbitrate their future troubles,
It’s time to lay the sword and gun away.
There’d be no war today,
If mothers all would say,
« I didn’t raise my boy to be a soldier. »

Je n’ai pas élevé mon fils pour en faire un soldat,
Je l’ai élevé pour qu’il soit ma fierté et ma joie.
Qui ose lui mettre un fusil à l’épaule,
Pour tirer sur l’enfant chéri d’une autre mère?
Laissez aux nations l’arbitrage de leurs problèmes,
Il est l’heure de ranger l’épée et le canon.
Il n’y aurait pas de guerre aujourd’hui
Si partout les mères disaient:
« Je n’ai pas élevé mon fils pour en faire un soldat ».

(traduction de l’Adrienne)

***

à l’occasion du 11 novembre

7 phrases

C’était pendant la première année du nouveau millénaire que j’ai eu en mains un livre qui m’a fait comprendre que pendant vingt ans j’avais habité dans la maison d’un ancien SS. Non que je n’aie reçu quelques signes: même le notaire, le jour où nous avions visité la maison ensemble, avait évoqué en passant les habitants précédents; je n’y avais prêté que peu d’attention. Peut-être que je le refoulais, imprégné comme je l’étais depuis des années par les poèmes douloureux de Paul Celan, les témoignages de Primo Levi, les innombrables livres et documentaires qui vous laissent sans voix, par l’impossibilité de toute une génération de décrire l’impensable. Là je voyais mes souvenirs intimes envahis par une réalité que je pouvais à peine m’imaginer, mais que je ne pouvais plus repousser. C’était comme si des spectres surgissaient dans les pièces que j’avais si bien connues; je voulais leur poser des questions mais ils passaient au travers de moi. Rien ne me déplaisait plus qu’écrire sur cette sorte de gens qui se mettaient à hanter ma propre vie.

Stefan Hertmans, De Opgang, De Bezige Bij, 2020, p.7 (incipit) Traduction de l’Adrienne.

Het was in het eerste jaar van het nieuwe millennium dat ik een boek in handen kreeg waaruit ik begreep dat ik twintig jaar in het huis van een voormalige ss-man had gewoond. Niet dat ik geen signalen had gekregen: zelfs de notaris had me, op de dag dat ik het huis met hem bezocht, terloops op de vorige bewoners gewezen; ik had er toen weinig aandacht voor. Misschien verdrong ik het ook, doordrenkt als ik jarenlang was geweest van de pijnlijke gedichten van Paul Celan, de getuigenissen van Primo Levi, de talloze boeken en documentaires die je sprakeloos achterlieten, de onmogelijkheid van een hele generatie om het ondenkbare te beschrijven. Nu zag ik mijn intieme herinneringen doordrongen raken van een werkelijkheid die ik me amper kon voorstellen, maar die ik ook niet meer kon wegduwen. Het was alsof er schimmen opdoemden in de kamers die ik zo goed had gekend; ik wilde ze vragen stellen, maar ze liepen dwars door me heen. Niets stond me zozeer tegen dan schrijven over het soort mens dat nu als een spook door mijn eigen leven begon te banjeren.

Stefan Hertmans, De Opgang, De Bezige Bij, 2020, p.7 (incipit)

Lire les premières pages en néerlandais ici – a paru chez Gallimard sous le titre Une Ascension dans une traduction d’Isabelle Rosselin, info ici et lecture des premières pages en français d’Isabelle ici 🙂