Au bout du jardin, à gauche de la petite haie de troènes que grand-père taille au moins quatre fois par été, parce que c’est sa fierté de la garder toute fine, au bout du jardin donc il y a le portillon.
C’est par là qu’entrent tous les habitués de la maison, sans sonner ni frapper, ils poussent le portillon, remontent le sentier et arrivent tout doit à la cuisine. Où ils entrent sans plus de façon et sont accueillis par grand-mère.
Il y a une chose bizarre à propos de grand-mère: elle qui est si peureuse qu’elle fait vérifier par la petite si le gaz est bien éteint, si le verrou est bien mis, si les clés sont à leur place, ne semble pas craindre que le rôdeur, que le voleur d’enfants, entre par le portillon.
Le danger, elle l’a déjà souvent dit à la petite, le danger est au dehors: au-delà du portillon.
Alors de temps en temps, au moins une fois par jour, la petite va vérifier si elle voit du danger, de l’autre côté du portillon.
Mais la rue a toujours son même air, avec sur la gauche la belle auto noire d’Albert luisant de tous ses chromes, avec en face sur la droite les rideaux de Rachel tirés d’un côté, parce qu’elle aussi aime bien vérifier les dangers de la rue.
Parfois – c’est rare, mais ça arrive – parfois une amie ou une cousine de grand-mère amène son petit-fils.
C’est toujours l’occasion d’apprendre un nouveau mot – qu’on ne pourra hélas pas utiliser, mais qu’on retiendra tout de même – et de faire une chose nouvelle, dont on apprendra juste après qu’elle était interdite.
– Qu’est-ce que vous faites, là? demande grand-mère.
– On fait de l’escalade, répond Alain, le petit-fils de cousine Jeanne.
De l’escalade, rigole la petite, alors qu’il suffit de pousser le portillon.
Mais elle se tait, bien sûr.
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Écrit pour Filigranes avec la photo et la consigne d’avril. Merci!
Était-ce mieux avant? A cette question l’Adrienne – ou faut-il dire ‘Madame’, vu que dans cette histoire elle a la double casquette – répond NON.
En voici une preuve de plus 😉
Jeudi dernier, entre les fraises de Hollande et les framboises marocaines, l’Adrienne tombe nez à nez avec une de ses anciennes profs.
Oui, ces rencontres-là existent aussi, mais sont de plus en plus rares 😉
Elle était accompagnée d’une gamine de 13 ou 14 ans qu’elle a présentée fièrement:
– C’est ma petite-fille.
Alors l’Adrienne, ne voyant rien venir, s’est présentée elle-même en riant:
– Tu l’auras deviné, ta grand-mère a été ma prof de latin et de grec! – Nous avons aussi été collègues, rectifie la dame – Oui, c’est vrai, mais ce rapport prof-élève est tout de même le plus important pour moi.
Et c’est là que l’Adrienne a eu envie de dire à la jeune fille et sa grand-mère:
« Vous avez le temps d’une anecdote? »
Mais elle s’est retenue 😉
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Voici la chose: L’Adrienne a toujours aimé dessiner et elle a toujours eu besoin de s’occuper la tête et les mains, donc un jour, en classe, lors d’explications (inutiles) elle s’est mise à dessiner dans la marge de son cahier de grec.
La prof l’a vertement interpellée et lui a dit: « Je veux te voir après le cours. »
Figurez-vous que l’Adrienne n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle avait fait de mal 😉
Bref, ça n’avait pas plu à la prof, ce petit dessin dans la marge – l’Adrienne à l’époque « travaillait sur un roman » LOL qu’elle illustrait elle-même – et elle le lui a bien fait sentir.
Elle se trompait, bien sûr: c’est quand l’Adrienne avait les mains inoccupées que dans sa tête elle risquait d’être loin, très loin du discours de la prof.
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Donc, quand elle a été prof elle-même, les quelques fois où elle a vu un dessin d’élève, elle s’y est intéressée et l’a félicité(e).
Il y en a qu’elle a reçus et conservés jusqu’à aujourd’hui, comme ce Dormeur du val crayonné par Sebastien, mis en illustration du billet 🙂
– Et votre sac, vous l’avez retrouvé? demande vendredi dernier une ancienne élève, caissière au magasin où a eu lieu la disparition mystérieuse.
Alors d’un grand geste théâtral l’Adrienne extirpe le sac aux colibris du grand sac noir qui sert à transporter les courses.
Elle a même envie d’y ajouter un « Tadaaaaa!!! » mais se retient.
Elle n’a plus huit ans, quand même, si? 🙂
– Figure-toi que onze jours après les faits, je suis revenue ici pour reposer une troisième fois la même question, mais cette fois avec une photo. Alors à la première employée que je vois, je montre la photo du sac. Et elle s’est exclamée: « Ah! ce sac-là! Il est dans notre bureau! »
– Et tout était encore dedans? demande l’ancienne élève.
– Oui, tout y était. Mais devenu inutilisable, bien sûr.
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L’amie de toujours, qui a travaillé toute sa vie, depuis ses seize ans, dans un magasin de cette chaîne, n’a pas compris comment une telle chose était possible: quand on trouvait un objet perdu, dit-elle, on essayait de retrouver le propriétaire. On ne le laissait pas en plan dans un coin du bureau…
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Bref, l’Adrienne est contente, le sac lui est précieux, ainsi que le mouchoir paternel qu’il y avait dedans.
Les clés et les cartes sont remplacées depuis le jour de leur disparition, le sac et le mouchoir sont irremplaçables 🙂
Non, vous ne verrez pas plus que ce bout de poignet dans un pull bleu assorti à ses yeux 🙂
C’est l’amie de toujours, celle qu’on connaît depuis la première maternelle, celle a côté de qui on a passé les six années d’école primaire, puis dont on a été séparée, alors on s’écrivait des lettres – qui arrivaient à destination, merveilleuse époque 😉 – celle qui vous connaît de fond en fond, qui a connu l’arrière-grand-père Edmond fumant sa pipe, qui a mangé « des tartines au choco » à la table de grand-mère Adrienne, celle qui finit vos phrases.
L’indispensable 🙂
Mercredi il y avait donc plus d’une raison de faire la fête.
Vous vous souvenez de Jeanne Calment, qui raconte que Van Gogh venait acheter des toiles dans le magasin de son père, et qu’elle le trouvait « laid et brûlé par l’alcool »?
Vendredi dernier donc, l’Adrienne est chez tante Suzanne et la conversation va bon train.
Puis au moment où il est question de l’œuvre de paille (photo ci-dessus) la tante s’exclame:
– Je l’ai connu, James Ensor!
L’Adrienne en est bouche bée, évidemment, et calcule rapidement dans sa tête (pardon, ma tante!) si une telle chose est possible: oui, à la mort d’Ensor, à l’âge de 89 ans, en novembre 1949, elle en avait 17-18 et elle habitait dans le centre d’Ostende.
De plus, elle a aujourd’hui encore une mémoire fabuleuse, et pas seulement pour les choses du passé.
Bien sûr, comme James Ensor se promenait quotidiennement dans sa ville, nombreux sont les gens qui l’ont vu passer et l’ont croisé. Sa silhouette était fort reconnaissable, surtout qu’il était toujours vêtu de la même façon. Et c’était un personnage.
– Il marchait, dit la tante, sans regarder personne, et sa servante tout en noir le suivait à quelques pas.
Comment cela arrivait, elle ne le savait pas, mais ça ne ratait jamais: chaque année début décembre, quand père, mère, mini-Adrienne et petit frère allaient à Bruxelles et flânaient entre les rayons de l’Innovation, elle réussissait à les perdre.
Ne plus les voir.
Rester gelée sur place, entourée par une foule.
Parce que la première fois où c’était arrivé, c’est ce que le père lui avait dit:
– Et surtout, n’essaie pas de nous chercher, reste où tu es!
Donc elle restait là, le cœur battant, inquiète, triste, elle serait grondée.
Ils finissaient par se rendre compte de son absence et la retrouver.
Chaque fois elle se promettait que ça n’arriverait plus… mais comment expliquer? ça arrivait.
– Tu devrais quand même faire un peu plus attention! disait le père.
Elle a toujours pensé que dans cette phrase, quelque chose n’allait pas.
Mais elle ne l’a jamais dit, bien sûr 😉
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Écrit pour Bricabook 446, merci à elle et à @ Pawel I pour la photo!
Pour sa première année à l’université, l’Adrienne avait deux cours dont elle attendait beaucoup, celui sur l’histoire de la littérature française et celui sur la littérature européenne comparée.
En littérature française, le prof – que nous appellerons seulement par ses initiales, CJ, pour des raisons qui seront vite évidentes – jouait vraiment de malchance: d’abord sa maison a été inondée, donc il n’a pas pu donner cours, puis elle a été incendiée, avec le même résultat.
Ses absences étaient si fréquentes que ça ne nous faisait (presque) plus rigoler.
L’histoire de la littérature française, il a donc fallu l’acquérir comme on le faisait déjà avant lui, en potassant des anthologies et d’autres livres sur le sujet.
Et l’examen, cette année-là, a consisté en la présentation de trois travaux personnels, sur un auteur choisi dans trois siècles différents.
En littérature européenne, c’était plutôt l’effet inverse: le professeur Janssens déversait inlassablement sur son public des mots en -isme, des noms d’auteurs du sud au nord de l’Europe – sans oublier les Russes, évidemment – et nombreux étaient les noms dont nous n’avions jamais entendu parler ni lu aucun livre.
L’Adrienne, qui à dix-huit ans croyait encore arriver au bout de tout ce qui était intéressant à lire, avait une liste immense, qui ne cessait de s’allonger. Et pas le temps de lire autre chose que ce qui était imposé.
Comme ce pauvre Marcel, par exemple 😉
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Tout ça pour dire qu’elle a fini par lire l’œuvre montrée en illustration ci-dessus, qui lui a immédiatement rappelé le cours du professeur Janssens, où il en a été question comme représentant du vitalisme.
« J’ai vécu jusqu’à mes dix-huit ans dans un petit village d’Ardenne où mon imagination se trouve encore. Que je le veuille ou non, tout ce que j’écris vient de là: des quelques mètres carrés du hangar à poules de Papou, de l’odeur des fraises qu’il cultivait derrière l’église, face aux collines de Hoyemont, au-dessus de l’Ourthe et de l’Amblève, […] des bêtes sachant d’instinct trouver le bonheur, des machines agricoles défoncées par l’usage, dans le purin. »
Antoine Wauters, Le plus court chemin, éd. Verdier, 2023, p.9 (incipit)
« Je ne crois pas en la prédestination. L’idée ne me plaît pas. Mais j’ai tout de même parfois l’impression que certains d’entre nous ne peuvent pas faire autre chose que ce qu’ils font. Comme si c’était écrit. Bien que cela ne le soit pas. »
idem, p.31
« Et plus tard, les livres, la ville, les films. Et ces centaines de voix nouvelles glanées au musée du Cinéma, chez Tropismes, à la bibliothèque de l’université, partout, comme un dingue. Je lis et regarde tout ce que l’enfance n’a pu me donner. A la bibliothèque, ce sentiment étrange: je me sens chez moi. Je me sens bien. L’odeur du papier me parle. C’est la voix du souvenir. »
idem, p.35
« Une vie placée sous le signe d’un Dieu représenté par des curés, omnipotents et profiteurs, qui mangeaient indifféremment sur le dos des morts, des jeunes mariés, des communiants, des baptisés. Et des morts et des morts encore. Une vie placée sous le signe d’une nature immense, de kermesses à répétition, d’alcool et de ce bienheureux ennui dont je me sens si souvent orphelin aujourd’hui. »
idem, p.41
« Dans ce royaume des doux, le périmètre de la culture, c’était le dictionnaire Larousse, qui était le seul à répondre aux questions qu’on se posait. Pas d’ordinateurs. Pas de téléphones savants. On se débrouillait comme on pouvait. […] On usait nos habits jusqu’à la corde et, une fois anéantis, on les voyait se transformer en loques à poussière. »
idem, p.71
« De Mémé, j’aurais aimé conserver la statuette de saint Antoine. Je la lui avais ramenée de mon Erasmus à Padoue. Saint Antoine était son saint préféré, au point que je la soupçonne d’avoir égaré des objets exprès, pour pouvoir le prier davantage. Quand il ne l’aidait pas, Mémé tournait la statuette, face au mur, de manière à n’en voir que le dos. Elle ne voulait plus en entendre parler. Jusqu’à ce qu’elle remette la main sur ce qu’elle cherchait. »
idem, p.84
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Et p.59, l’explication du titre:
« Puis un matin, écrit Joan Didion, j’ouvrirai simplement mon carnet et tout sera là, compte épargne oublié avec les intérêts cumulés. Péage de retour vers le monde d’alors. Tout reviendra. » L’écriture comme un raccourci. Oui. L’écriture comme le plus court chemin.
On est bien loin de la petite qui disait en fronçant le nez Keskesèksa? Moi n’aime pas ça! devant son premier plat de champignons.
Elle a bien appris à les aimer, les blancs les noirs les bruns les jaunes les alvéolés les lamellés les mélanosporés 😉
Alors donc ce défi du 20 tombe à pic pour vous présenter une (très mauvaise) photo de ravioles accompagnées d’une sorte de champignons que personne autour de la table n’a réussi à déterminer – ni pensé à demander au garçon – faisant confiance aux moteurs de recherche.
On regarderait quand on serait rentrés 😉
Et bien non, on n’a pas trouvé!
Le champignon est blanc, il était coupé en tranches fines qui ressemblaient à des tranchettes de chou-fleur, il avait une texture fine et un goût assez doux.
Même que l’Adrienne pensait manger du chou-fleur 😉
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Photo prise le 13 janvier avec apparemment trop de hâte, désolée, c’est tout flou!
Merci à Passiflore pour le défi du 20 et merci aux amis qui m’ont fait découvrir ce restaurant 🙂
Si ça rappelle à quelqu’un l’histoire du bicarbonate qui était du sucre en poudre, bingo! il gagne la timbale 🙂