V comme vitres

Vitrine de boulangerie, de magasin de mode ou de café-brasserie, il faut bien les choisir, sous peine de voir sortir un gérant furibard ou même – oui, c’était arrivé – que quelqu’un appelle la police.

Pourtant Amir a besoin de temps en temps de vérifier à quoi il ressemble.

Quel mal fait-il, en se regardant dans la vitre-miroir d’un magasin?

– Là je ne risque rien, se dit-il, on ne va tout de même pas croire que je veux piquer un vieux téléphone?

Il se rapproche, s’examine la barbe, sent sa propre odeur corporelle… et il espère que ce soir-là il aura enfin l’occasion de prendre une douche.

Vitre sale et rideaux toujours fermés, c’était doublement un crime contre la transparence obligatoire.

Oui, on a des rideaux, mais on les laisse ouverts, même quand la nuit est tombée et la maison éclairée de l’intérieur.
Le grand principe, c’est: « Nous n’avons rien à cacher »

Si en plus on laisse s’installer la poussière…

Non, il faut agir!
C’est une question de moralité publique!

Ainsi fut dit, ainsi fut fait: on n’eut aucun mal à trouver des volontaires.

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La première photo est celle du jeu 431 de Bricabook, la seconde vient de cet article de LLB ici.

Merci à Joe Krapov pour sa consigne du 14 mars inspirée des Contes glacés de Jacques Sternberg

U comme un, deux, trois!

« Le quadrille est en fait une contredanse », lit l’Adrienne après avoir pris connaissance du mot proposé par Walrus au Défi du samedi, mais ça ne l’avance guère, ça lui rappelle juste une petite phrase de la comtesse de Ségur, prononcée par Yolande Tourne-Boule à l’intention de Léon, pour lui dire qu’elle l’engage pour la première contredanse à l’occasion d’un bal que sa mère ne manquera pas de donner dès qu’ils seront installés dans leur bel hôtel parisien.

Oui, l’Adrienne vers ses onze ans a tellement lu Les vacances qu’elle peut encore en réciter des passages par cœur 😉

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Pour les autres fans de la Comtesse, voici le passage:

« Je suis très satisfaite, messieurs et mesdemoiselles, dit-elle, de vous connaître avant de quitter le pays ; j’espère que vous viendrez me voir à Paris, à l’hôtel Tourne-boule, qui est à mon père, et qui est un des plus beaux hôtels de Paris. Je vous ferai inviter aux soirées et aux bals que ma mère compte y donner. Et même, pour ne vous laisser aucune inquiétude à ce sujet, je vous engage, monsieur (s’adressant à Paul), pour la première valse, et vous, monsieur (s’adressant à Jean), pour la première polka, et monsieur
(s’adressant à Léon), pour la première contredanse. »

Pour les Die Hard, il y a même le texte entier en e-book gratuit, merci la Bibliothèque électronique du Québec!

T comme Timmers

C’est avec la lecture de ce merveilleux petit livre pour enfants, Meneer René (Monsieur René) de Leo Timmers, auteur et illustrateur, qu’une bibliothèque de Schaarbeek a réussi à entrer au livre Guinness des records.

Bien sûr, ce n’est pas le record qui compte le plus, mais que la bibliothèque ait pu être le lieu de rencontre de lecteurs de soixante-cinq langues différentes.

Monsieur René, le chien qui a le talent de peindre des choses si vraies, porte évidemment ce prénom en clin d’œil à Magritte, comme l’indique également la belle pomme verte sur son tableau.

Dans notre ville aussi, s’est dit l’Adrienne, on devrait organiser ce genre d’événement, vu que nous avons une bonne centaine de nationalités différentes sur notre petite entité 🙂

Stupeur et tremblements

Vous connaissez sûrement l’histoire du couscous canadien avec l’irascible épicier à qui Fernand demande du fromage de Hollande et de la morue d’Ecosse?

L’Adrienne a demandé à son épicier bio s’il avait de la lentille verte.

– J’en ai de deux sortes, dit-il, en paquet d’un demi-kilo et en plus petit format.
– Donnez-moi un paquet de cinq cents grammes a répondu l’Adrienne.

Ce n’est qu’arrivée chez elle qu’elle a constaté que ces lentilles françaises (voir la photo ci-dessus) étaient en fait… canadiennes!

Donc, résumons-nous: on ne prend plus l’avion parce qu’on veut sauver la planète puis on constate que le paquet de lentilles « a fait un beau voyage »… dans son sachet compostable 😉

Et pour boucler la boucle: le revendeur hollandais, sur son site, précise que ces lentilles s’appellent Dupuis 🙂

Ah! ils vont être contents, là-bas!

22 rencontres (4.18)

Omar est heureux, très heureux, et il n’a pas peur de le dire, « ik ben super blij!« , alors bien sûr Madame aussi est heureuse et applaudit à grands cris, comme il se doit, même si elle n’est pas le cercle de famille.

– ça va faire deux ans que je suis marié, rappelle-t-il à Madame, qui n’a pas la mémoire des chiffres, et on attend notre premier bébé.

« ik ben super blij!« 

Alors pendant un moment on est franchement heureux.

Pendant un moment on oublie le sombre avenir et le sombre présent.

R comme Rodrigo

¿De dónde venís, amore?

D’où viens-tu, chérie, demande la mère suspicieuse à sa fille qui est sortie de la maison pour aller voir son amoureux.
Ah! Je le sais bien d’où tu viens!

¿De dónde venís, amore?
Bien sé yo de dónde.
¿De dónde venís, amigo?
Fuere yo testigo!
¡Ah!
Bien sé yo de dónde.

De los álamos vengo, madre

Je reviens d’aller voir les peupliers, ment la fille, de voir comme ils se balancent dans le vent.

De los álamos vengo, madre,
de ver cómo los menea el aire.
De los álamos de Sevilla,
de ver a mi linda amiga,
de ver cómo los menea el aire.
De los álamos vengo, madre,
der ver cómo los menea el aire.

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Voilà, pour nous changer de ce qu’on connaît tous par cœur de ce musicien espagnol, son Concierto de Aranjuez 😉

Le défi du 20

Herr Gottlieb Biedermaier, par ce beau dimanche de la mi-juillet, dit à son palefrenier:

– Retourne à la maison sans nous attendre, nous rentrerons à pied après la messe, la promenade nous fera du bien!

Frau Biedermaier n’avait pas eu le temps de protester que ni elle ni les enfants n’avaient les chaussures adéquates, la carriole était déjà partie.

Évidemment, la grand-messe avait duré plus longtemps que d’habitude, Fräulein Baumann n’en finissait pas à l’harmonium et quand ils sont sortis sur le parvis, il n’était pas loin de midi, le soleil tapait dur, le temps virait à l’orage.

– En route! dit Herr Biedermaier en prenant la main de la cadette, et il partit, le ventre en avant.

Il dut se rendre à l’évidence, lui non plus n’était pas équipé pour la promenade au soleil, et après avoir ôté la veste, déboutonné le gilet et dégrafé le col, il suait encore à grosses gouttes.

Derrière lui, digne et droite, son épouse ne pipait mot.
Jamais devant les enfants, n’est-ce pas, mais il savait qu’il l’entendrait, le moment venu.

La petite avait soif.
La grande aurait bien cueilli encore quelques fleurs, mais on l’avait obligée à bien tenir son parasol devant son visage.
La belle-sœur claudiquait.

Le seul qui s’amusait était le jeune Werther, qui avait emporté son filet à papillons malgré l’interdiction.

– Il ira loin, celui-là, avait déclaré le père.

Il ne croyait pas si bien dire.

***

Merci à Monsieur le Goût pour ce 156e devoir et merci à Passiflore pour son défi du 20, le thème du jour – « à la campagne » – s’accordait parfaitement au tableau proposé par Monsieur le Goût, Der Sonntagsspaziergang, ou Promenade dominicale, 1841, de Carl Spitzweg.

Question existentielle

Chaque mardi après-midi depuis l’automne dernier, l’Adrienne traverse ce quartier où elle n’était plus allée depuis l’enfance.

Chaque fois elle passe devant la boucherie qui a été celle du père de son grand-père, là où armé de grands couteaux et ceint de deux tabliers blancs officiait le grand-oncle Marcel.

Voilà bien longtemps qu’il a pris sa retraite, bien longtemps qu’il est mort, la boucherie est morte avec lui mais elle est toujours reconnaissable et chaque fois l’Adrienne se demande s’il reste, derrière ces rideaux tirés, des éléments du décor d’autrefois.

Le grand comptoir de marbre gris blanc.
L’épaisse porte en bois de la glacière où à d’énormes crochets pendaient des demi-bœufs.
Le billot creusé par l’usage et les nettoyages.

L’autre jour, la porte du magasin était entrouverte.
On avait fait des courses, on déchargeait une voiture mal garée.

L’Adrienne a réprimé une forte envie de traverser la rue et de jeter un œil à l’intérieur de cet endroit où avec ses grands-parents, toute petite fille, elle venait passer une partie du samedi après-midi.

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Merci à Bricabook et à Fred Hedin pour la photo 430!

P comme pieux

L’Adrienne était en route pour Ostende quand les premières notes se sont fait entendre.

« Petite fleur » a-t-elle murmuré.

C’est là qu’elle a entièrement compris pourquoi Marguerite Yourcenar a donné comme titre au premier tome de son œuvre autobiographique, celui où elle évoque son côté belge, maternel, « Souvenirs pieux« .

Il y a une forme de piété à perpétuer le souvenir d’un défunt.

« Petite fleur« , c’est un souvenir très ancien, qui avait fort frappé mini-Adrienne vers ses huit ans: il y avait quelque chose de particulier dans le ton et la voix de son père, lui semblait-il, quand dès les premières notes il disait « Petite fleur« .

Elle en avait conclu que c’était une musique importante pour lui et avait fait de son mieux pour être capable elle aussi de la reconnaître dès les premières notes.

O comme ordalie

Il n’a pas eu besoin de faire passer l’Adrienne par l’épreuve de l’eau ou du feu pour émettre sa sentence 🙂

Mercredi matin, après les sourires, les ‘bonjour!’ et la petite conversation d’usage, au moment où elle allait poursuivre sa route, il l’a hélée, a fait un geste par derrière l’épaule en direction de là d’où elle venait et a dit:

– C’est beau, là, ton…, ta…, ce que tu as mis, là!

Il voulait parler de la clôture, elle l’a compris, une quinzaine de mètres venaient d’être rajoutés juste la semaine d’avant.

Alors elle l’a remercié et est repartie avec un sourire encore plus large.

La journée avait mal commencé, mais trouver le monsieur à longue barbe grise sur le pas de sa porte, c’est toujours un heureux moment.

« ordalie » avait été proposé par Walrus pour le défi d’un de ces derniers samedis 🙂