On choisit un lieu: ville ou campagne? On décide d’une habitation: ferme ou manoir? On en dessine le plan. On fait la liste des personnes qui y vivent: le châtelain et sa famille, les domestiques. On y ajoute quelques personnes extérieures: amis et relations professionnelles ou familiales, fermiers des environs, curé, commerçants et notables du village. On opte pour une situation: bien sûr, on est tous immédiatement d’accord sur un point, un crime aura lieu. Mais d’abord on va s’installer, faire connaissance des uns et des autres, meubler et décorer le manoir. Y organiser une grande fête.
Quand, en 1996, deux Francis, Francis Yaiche et Francis Debyser ont publié leurs livres sur les simulations globales, Madame, qui adore réinventer l’eau chaude et le fil à couper le beurre, s’est précipitée sur cette nouvelle façon de faire parler, de faire écrire et de motiver ses élèves.
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Merci à Monsieur le Goût pour la photo et la consigne 188: « Pourquoi cette salle est-elle si déserte? »
Parce que Madame et ses élèves vont s’amuser à la décorer et à la meubler, avant de venir y vivre, le temps d’une année scolaire 🙂
Dans la famille on était marins de père en fils, sauf l’oncle Oscar, qui avait réussi à ouvrir un hôtel-bar tabac et casse-croûte à toute heure.
L’année où on a été inondés, on a fièrement fait face. Mais attention, être des gens de la mer, ça ne veut pas dire qu’on aime l’eau. Faut pas exagérer!
Heureusement, avoir le pied marin fait qu’on tenait fort bien sur ces deux malheureuses planches le long de la façade, quand l’oncle Oscar a décidé qu’il voulait une photo de l’événement.
Il avait non seulement le pied marin, il avait aussi le sens du commerce, l’oncle Oscar, il voyait la belle publicité que ça ferait pour son établissement, quand ça paraîtrait dans le journal.
Alors il nous a tous fait mettre en rang, sur ces deux planches, avec l’hôtel-bar tabac et casse-croûte à toute heure bien visible, lui au milieu, l’air décidé, avec la lance de sa pompe à eau, à jouer avec le plus grand sérieux un Manneken-Pis portant des cuissardes.
A sa droite se tenaient deux clients, deux messieurs fort contents de vivre l’événement puisqu’il prolongerait leur séjour loin de bobonne. Ils étaient comme des coqs en pâte, logés au premier étage et pleinement satisfaits de la bonne cuisine de tante Octavie, en tablier à fleurs, et de son aide ménagère, l’infatigable Mariette. Voyez comme Mariette se tient solidement sur ses jambes, entre Alfred, qui a bien sali sa blouse blanche, et Robert, toujours la pipe au bec et toujours à prendre la pose avantageuse. Il dit que son succès auprès des femmes lui vient de là.
Moi je suis le type à gauche de la photo, au bord du bord de la planche: « Toi tu sais nager », a dit oncle Oscar.
J’aurais pu lui répondre qu’il n’y avait pas trente centimètres de flotte autour de l’hôtel.
Pour le petit concert public qui servira à les évaluer en milieu d’année, les petites filles sont sagement assises au premier rang, leur partition sur les genoux.
Il y a aussi quelques garçons, qui ne tiennent pas en place, rient et bavardent, mais personne n’intervient et Svitlana trouve ça très bizarre.
A côté d’elle se tient sa nouvelle amie et Svitlana aimerait bien s’appeler comme elle, Lily-Rose, parce que son prénom ukrainien, elle doit le répéter plusieurs fois et toujours en préciser l’orthographe. Elle pense que si elle s’appelait Lily-Rose, la vie lui serait plus facile.
D’ailleurs quand Lily-Rose dit son prénom, tout le monde s’exclame que c’est fort joli et qu’elle est aussi ravissante que la célébrité dont ses parents se sont inspirés.
Toutes les petites filles ont les cheveux longs, très longs, et certaines ont été tressées plus ou moins savamment pour cette occasion.
Mais seule Svitlana porte ses tresses en couronne.
Puissent les petites filles, ici et ailleurs, n’avoir d’autre souci que celui de faire joliment voler au vent un tissu soyeux et coloré un cerf-volant ou les aigrettes d’un pissenlit.
Comment cela arrivait, elle ne le savait pas, mais ça ne ratait jamais: chaque année début décembre, quand père, mère, mini-Adrienne et petit frère allaient à Bruxelles et flânaient entre les rayons de l’Innovation, elle réussissait à les perdre.
Ne plus les voir.
Rester gelée sur place, entourée par une foule.
Parce que la première fois où c’était arrivé, c’est ce que le père lui avait dit:
– Et surtout, n’essaie pas de nous chercher, reste où tu es!
Donc elle restait là, le cœur battant, inquiète, triste, elle serait grondée.
Ils finissaient par se rendre compte de son absence et la retrouver.
Chaque fois elle se promettait que ça n’arriverait plus… mais comment expliquer? ça arrivait.
– Tu devrais quand même faire un peu plus attention! disait le père.
Elle a toujours pensé que dans cette phrase, quelque chose n’allait pas.
Mais elle ne l’a jamais dit, bien sûr 😉
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Écrit pour Bricabook 446, merci à elle et à @ Pawel I pour la photo!
Puisqu’on aura nos beaux habits, avait dit Palmyre, et que de toute façon on sera déjà chez le photographe pour le mariage d’Emilienne, on va se faire tirer le portrait à nous deux aussi!
Évidemment Gustave avait ronchonné: Portrait! nous? et pourquoi faire? c’est de l’argent jeté!
Et patati et patata.
Palmyre laissait dire et attendait son heure.
Palmyre maîtrisait toujours le scénario.
Et puis est arrivé le jour du mariage d’Emilienne. C’est là que le photographe avait été prié d’apporter la touche finale, l’élément crucial:
– Monsieur Coppenolle! s’était-il écrié, les deux bras en l’air comme un parfait acteur de théâtre, Monsieur Coppenolle! On vous l’a sûrement déjà dit: quelle belle tête vous avez! On dirait Georges Clemenceau!
Et c’est comme ça que Gustave a pris la pose, sérieux, grave et digne comme Clemenceau, son héros, à côté d’une Palmyre triomphante.
– Apprends, ma fille, apprends! a-t-elle l’air de dire à Emilienne.
Pour réussir à faire rire Marinette sur une photo, il faut s’appeler oncle José.
Vous la voyez, là, avec ses chaussettes qui lui tombent sur les chevilles, ses sandales tout usées et son pull trop petit ? les bras ballants et se tenant toute raide, alors que l’oncle essaie de l’attirer vers lui ?
Vous voyez cette distance qu’elle garde, cette gêne ?
Et pourtant elle rit, oui elle rit de bon cœur, et ça c’est la magie de l’oncle José.
Il faut dire que l’oncle José a le rire sonore, tonitruant, auquel participe tout son corps : c’est pour ça qu’il se tient le ventre. C’est un vrai grand rire joyeux, décomplexé et communicatif.
La seule à qui ça ne fasse aucun effet, c’est son épouse, qui peut rester parfaitement imperturbable alors que toute la tablée est écroulée de rire devant ses mimiques et ses blagues.
Marinette soupçonne certains de rire encore plus fort rien qu’après avoir vu la tête de l’épouse, digne et droite dans ce tohu-bohu général.
Pour Marinette, c’est bien simple, l’oncle José n’a qu’à dire « Je vais installer le trépied, on va se faire une belle photo, tous les deux ! » et au lieu que ça la fasse stresser comme d’habitude, ça lui donne déjà la banane.
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Merci à Joe Krapov pour la photo et la consigne : On vous distribue trois photographies de gens ou de lieux qui vous sont inconnus. Faites comme si elles avaient un lien avec vous. Faites parler ces photos. Qui sont ces gens ?
Parmi ces petits-enfants, depuis de nombreuses années déjà, seules la mère de l’Adrienne, cinq ans et un grand nœud blanc dans les cheveux, et la jeune fille en robe claire à côté d’elle, pouvaient encore témoigner de cette fête mémorable.
Aujourd’hui il ne reste plus que la mère de l’Adrienne.
La jeune fille en robe claire ne deviendra donc pas centenaire.
On la garde dans son cœur pour une de ses qualités en particulier: son franc-parler.
Lucy l’a vu dans tous les films sur la France: le vrai restaurant a des nappes à carreaux rouge et blanc et une bougie consumée sur la table.
De préférence dans une de ces fiasques de mauvais vin italien, pour bien montrer ce qu’on en pense ici: c’est juste bon à servir de bougeoir.
Pour que ce soit parfait, il ne manquait plus que l’accordéoniste.
Au musée, elle a pu constater dans diverses salles que le visiteur français était surtout intéressé par les étiquettes mentionnant qu’une œuvre était momentanément indisponible pour cause d’exposition à l’étranger.
Elle a pu constater que ça faisait beaucoup râler, comme si ces gens étaient venus spécialement pour les œuvres absentes.
– Et tout ça avec nos impôts! disait l’un. – C’est une honte! disait l’autre.
Finalement, elle rentrera bien contente de son voyage: tout ce qu’elle avait lu, vu ou entendu dire sur la France s’est confirmé.
Jusqu’à l’élégance des petits chiens parisiens sur les grands boulevards.
En cherchant dans les états de biens des données concernant la généalogie, on trouve évidemment des tas d’autres choses auxquelles on ne s’attendait pas.
Parfois, ces messieurs les juges ou notaires de la ville y jouent aux journalistes et chroniqueurs.
C’est ainsi que pour l’année 1580, le registre des successions passées devant notaire commence par ce texte:
« Den VIe aprilis sgoendaeghs naer Paesschen tusschen vijf en ses hueren naar middagh wesende claer en stille weder es binnen deser stede ghebuert een eertbeving duer welke diveerssche steenen van caven en de tiechellen vander huysen ghevallen zijn daar duer eenighe lieden doot ende eenighe tot op der doot ghequest zijn gheweest«
Un tremblement de terre!
Recherche faite, il s’agit d’un séisme dont l’épicentre était dans la Manche, entre Calais et Douvres, de sorte qu’il porte le nom de ‘tremblement de terre de Calais‘ dans les sources françaises et ‘Dover Straits earthquake‘ ou ‘tremblement de terre de Londres’ dans les autres.
C’était un mardi, raconte le chroniqueur flamand, le 6 avril dans la semaine de Pâques, par un après-midi clair et sans vent, quand des cheminées se sont écroulées et des tuiles tombées des toits, faisant des morts et des blessés graves.
Cela a bien duré le temps de réciter trois « paternoster » ajoute-t-il 🙂
D’abord on a senti trembler les murs et les vitres, comme si des charrettes lourdement chargées passaient dans les rues, puis on a vu la terre se soulever et ça s’est terminé par des bruits comme de forts grondements de tonnerre.
Bien sûr, les gens ont pris peur: « Die in huysen waeren meende dat thuys in viel zoo dat elck vuyt zijnen huyse ende zijn huys verloochende up straete quam gheloopen niet wetende watter schulde »
Ceux qui étaient à l’intérieur ont cru que leur maison s’écroulait et se sont dépêchés de sortir dans la rue, ne sachant pas ce qui se passait, et chacun racontait aux autres ses frayeurs et ses mésaventures.
Dans la campagne environnante on a vu la terre se soulever comme par trois ou quatre vagues, de l’ouest vers l’est.
Et le chroniqueur conclut: « Welcke voorseide eertbeving bevonden es niet alleendellick hier geschiet tzijnen maer allomme gheheel Vlaendre duere ende andere circum voisine landen«
On ne l’a pas seulement senti dans notre ville, ce tremblement de terre, écrit-il, mais dans toute la Flandre et les régions voisines.
A Calais, la Tour du Guet s’en est trouvée partiellement détruite. (source de l’image ici)
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Écrit pour le Défi du 20 de Passiflore – merci à elle – qui propose pour ce 20 octobre le thème ‘transports’.
Oui la terre aussi a des transports et ils ne sont pas amoureux 🙂
Source de l’illustration en haut de page ici. Les infos ici.