F comme fin

– Ah! tout de même! tout de même quelqu’un!
– Maman, je te signale qu’on est là tous les jours…
– Ferme la porte!

Elle le sait bien, pourtant, que sa vieille maman « est perdue dans sa tête » comme elle-même le disait à propos de sa propre mère.
Que tous ses souvenirs des dernières décennies sont noyés dans un magma affolant.
Que le jour viendra où elle ne se souviendra plus du nom de ses enfants, elle qui les a tant aimés.
Que cette perspective effrayante l’attend sans doute aussi et qu’elle fera vivre à son fils ce qu’elle vit en ce moment: une vieille maman tout usée, qui ne trouve plus rien et s’effraye de tout.
Qui pleure quand elle a un moment de lucidité.
Et à d’autres moments ne sait plus que cette jeune femme attirante, brune et souriante sur la photo à côté de ce jeune homme aux yeux bleus, c’est elle.

Qui veut qu’on ferme la porte quand elle est ouverte et qu’on l’ouvre quand elle est fermée.

– Vieillir comme ça, disait-elle à propos de sa propre mère, mieux vaut mourir!

***

Merci à Monsieur Le Goût pour son 134e devoir:

Encore une histoire de porte. Celles qui donnent sur de nouveaux mondes. Celles qui donnent sur des mondes anciens. Ce qui serait chouette, c’est que vous réussissiez à y mettre les mots: attirer – affoler – effrayer – fermer – ouvrir – trouver – aimer – perdre – mourir – noyer.

Peu importe le temps, le mode, ou que ces verbes soient usés de façon pronominale ou non.

40 commentaires sur « F comme fin »

  1. Triste est la finitude de l’être, pire est le quotidien de celui ou celle qui se meurt dans un monde où l’entourage n’a pas de prise. Bonne semaine 🙂

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  2. Certaines façons de terminer sa vie sont pires que d’autres.
    Trouver des mots pour réconforter votre amie d’enfance ne doit pas être facile. Courage.

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  3. Eh bien, pas très gai tout ça. J’essaie d’imaginer qu’un sursaut peut arriver 😉 Par ailleurs, le chemin tracé vers la vieillesse est difficile, c’est certain, mais il tient à nous de ne pas avoir le même que celui de nos parents 😉

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  4. J’ai connu cette triste période
    Ma mère me disait à chacune de mes visites , des mots étranges, oui je la sortais en fauteuil, je lui parlais comme si de rien n’était , je lui faisais sentir
    la vie qu’elle quittait doucement
    Je lui massais les mains, le dos avec la même douceur que elle avait eu pour nous et plus tard de mes filles et oui elle a eu la chance de connaître mes 3 petits fils qi l’ont adorée , c’était une personne extraordinaire la Mémé Amalia
    Elle me disait sur la fin avec ses yeux hagards » vous êtes gentille MADAME  »
    Je repartais mes yeux noyés de larmes mais je voulais la garder …
    J’avais perdu mon merveilleux père qui était lui encore jeune 67 ans d’une maladie foudroyante et de ce fait ma mère je l’ai entouré , choyée , …
    Mes parents ont été ma richesse , le pilier qui m’aide encore à avancer …
    Bonne journée Adrienne

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    1. oui je comprends très bien, c’est pareil pour mon amie, pour le moment sa maman la reconnaît encore mais nous savons que ce moment viendra…
      et elle aussi est une maman entourée de tout l’amour et le respect de ses quatre enfants, qui tiennent à lui rendre un peu de tout ce qu’elle a fait pour eux, une maman exemplaire, malgré de très très petits moyens financiers et d’autres problèmes…
      moi aussi je l’aime et la respecte.

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  5. L’idée de ne plus recoñaitre mes enfants et petits enfants un jour me terrorise vraiment….je préfèrerai mourir avant …c’est vrai, mais , malheureusement on ne choisit pas.

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    1. non… on ne choisit pas!
      ma grand-mère avait peur de mourir du cancer (mais c’est son coeur qui a lâché) moi c’est la sénilité qui me fait le plus peur (et si c’est génétique: il y a eu des cas du côté maternel de mon père…)
      mais en attendant: vivons bien 🙂
      bises, bonnes vacances!

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    1. je pense qu’en théorie on est d’accord qu’il y a un vice de raisonnement dans « on abrège les souffrances de l’animal mais on s’acharne thérapeutiquement sur l’homme »
      avant de le décider pour l’homme, il faut qu’il en ait lui-même manifesté ouvertement et pleinement sa volonté; or la maman de mon amie tenait à la vie
      et ses enfants tiennent à elle
      oui, elle a eu toutes ses doses et on a toujours fait bien attention de ne pas risquer de la contaminer (moi par exemple je n’ose plus l’embrasser)

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  6. Nous craignons tous de perdre la tête un jour, et en particulier ceux qui ont accompagné un parent « perdu dans sa tête », mais nous n’avons pas de prise là-dessus. Maman a reconnu ses filles jusqu’au bout – quelle chance pour nous – et jusqu’au bout, malgré son déclin mental puis physique, elle a exprimé d’une manière ou d’une autre son amour de la vie, la joie des retrouvailles, le bonheur de la musique, des rencontres, le plaisir gourmand. Elle s’est révoltée puis elle a accepté sa dépendance. Nous aussi. Si j’espère échapper à la maladie, j’espère avoir sa force d’adaptation dans le grand âge et l’une ou l’autre personne qui voudra bien m’accompagner jusqu’au bout.
    Je peux imaginer la souffrance de ton amie et je lui souhaite de cueillir ces moments, ces petits riens positifs. Quand les mots se dérobent, les gestes disent beaucoup, et rien que la présence qu’elle lui offre est si précieuse à sa mère.

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  7. O combien ton texte me touche. J’ai connu cela l’année dernière avec ma propre mère, et nous continuons à le vivre avec ma belle-mère. Pendant trois ans, nous disions qu’elle était « toujours dans ses idées », mais maintenant, elle n’a presque plus d’idées du tout… Oui, je pense que nous sommes nombreux à redouter une telle fin. La déchéance physique est triste, mais la démense est épouvantable.

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    1. épouvantable, oui.
      La maman a des moments de révolte, des moments de grande tristesse et d’autres où elle est bien. On ne sait jamais à l’avance comment elle sera pendant la visite, n’est-ce pas, et parfois on sort de là complètement bouleversées.

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  8. J’ai gardé ma maman jusque 95 ans, j’avais du la mettre dans un home à 90 ans, car elle tombait très souvent, et je travaillais encore, mais elle a gardé toute sa tête jusque 93 ans, après il y avait des moments ou elle vivait 50 ans en arrière et me disait « Papa n’est pas encore rentré, il est encore repassé par chez… » ce qu’il n’a jamais fait, et il était décédé depuis 30 ans , cependant elle me reconnaissait encore ainsi que mes enfants, et ce qui la faisait le plus sourire, c’était la vue de ses arrière petites filles. mais tous les jours elle me disait je ne vois plus personne, hors je passais tous les jours parfois 2 fois par jour, et mes enfants y allaient régulièrement, et ce n’est qu’à la fin que j’ai compris , ceux qu’elle aurait voulu voir, c’était ses amis décédés avant elle et dont elle avait oublié la mort, ainsi 2 mois avant de mourir, elle m’a dit que les parents de mon mari ne venait plus jamais la voir, ils étaient décédés depuis 5 ans. mais elle m’a toujours reconnue, et s’est éteinte en 2 jours sans vraiment souffrir. Je pense que je comprends mieux ce qu’elle voulait dire, j’ai un âge ou beaucoup de mes connaissances disparaissent …Bonne journée. Bises

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  9. Ton texte me touche car ma mère est dans ce cas : elle a perdu une bonne partie de sa mémoire depuis trois ou quatre ans et navigue dans un monde à part…
    Et la deuxième raison pour laquelle il me touche, c’est qu’en « premier jet », pour aujourd’hui, j’avais aussi écrit un texte qui se passait dans un Ehpad…et qui parlait de « vide »…
    Mais je l’ai effacé, il n’était pas bien écrit et puis un peu trop « sinistre »…
    le tien est bien mieux !

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    1. Beaucoup de gens, je suppose, vivent ça avec leurs parents, il y a l’aspect génétique, la durée de vie mais aussi nos habitudes alimentaires des dernières décennies qui sembleraient aggraver le problème…
      Et puis ces portes et ce triste décor vide et gris ne me faisaient penser à rien de bien érotique 😉 la petite reproduction de l’Origine du monde me semblait même tout à fait incongrue en cet endroit 😉
      Merci et bonne journée!

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  10. Bou, que c’est triste tout ça…Tout à fait exact la façon que tu as de décrire cette maladie en peu de lignes…
    .La semaine dernière, nous avons enterré une tante sous une chaleur écrasante. Même dans l’église, il faisait très chaud…Cette tante était avec une de ses belles-soeurs dans le même service Ehpad des Alza. 2 belles-soeurs assises l’une à côté de l’autre sans se voir, sans se parler, sans se reconnaitre…On ne savait laquelle disparaitrait la 1ere….Tout à l’heure, un coup de fil d’une soeur au petit matin. Je me suis dit « ça y est, la tante M est morte aussi »…Non, c’était juste pour nous demander notre adresse…Cette tante, celle qui est encore en vie, est une superbe femme, pourtant 90 ans. Au début, quand la maladie l’a atteinte, quand elle nous voyait, elle disait en pleurant « c’est terrible, je ne vous reconnais pas »…Puis, petit à petit, elle a moins pleuré et s’est statufiée sur sa chaise, comme si elle posait pour un peintre, sans un mot..Cette tante a fait la fête toute sa vie, a eu nombre « d’amis », même un certain président qu’elle nous a dit », a croqué la vie par les 2 bouts. Et voilà le résultat…Snif;…sans cerveau, sans mémoire, on est plus rien..
    Ca me terrifie d’être atteinte un jour, comme ça terrifiait ma mère qui ne voulait pas aller voir ses belles-soeurs. Maintenant, celle qui vient de décéder est couchée pour l’éternité à côté de ma mère…Quand même ballot quand on sait qu’elles se sont entendues comme chien et chat toute leur vie…
    C’est formidable en si peu de lignes et avec des mots imposés de décrire cette terrible maladie « (quel vicelard » le prof de jouer ainsi avec notre cerveau (peut-être pour savoir si nous avons toutes nos facultés mentales. Je ne dois pas les avoir toutes, vu que je n’ai pas fait le devoir, mais, j’ai mon excuse du lundi, j’ai peur que mon mari ait le Covid, il n’est pas bien depuis hier, il toussote, il a mal à la tête, il renifle, il a dormi l’après-midi, mais il dit que c’est à cause de la clim ou qu’il a pris froid hier matin dans une rue à courant d’air et ne veut pas aller se faire tester..Je verrai dans la journée comment il est, et comment je suis aussi par ricochet….

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    1. oui les signes et les comportements sont reconnaissables, une fois qu’on l’a vécu avec quelqu’un… mais la première fois qu’on y est confronté, on met beaucoup de temps à s’en rendre compte (et à l’accepter, peut-être)
      Espérons que pour ton mari ce ne soit qu’un petit rhume, un de ces rhumes d’été qui finissent plus vite parce qu’on transpire beaucoup!
      (c’est ce que mon père croyait, un matin de départ en vacances il était enrhumé, il a dû se moucher toute la route mais le lendemain il était guéri, selon lui grâce à la chaleur excessive qu’il y avait dans l’auto pendant toute la journée ;-))

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  11. Je n’ai pas connu cette situation, mes parents sont morts de cancers dans la soixantaine, pas du tout perdus dans leur tête, mais c’est un autre chagrin pour les enfants…
    Pour soi-même je ne sais pas s’il y a des signes avant-coureurs.

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    1. les perdre, de quelque façon que ce soit, pour celui qui les perd, le chagrin de la perte est le même, bien sûr, et quel que soit leur âge, ceux qu’on aime partent toujours trop tôt. La question qui m’horripile le plus après l’annonce d’un décès, c’est: – Et il (elle) avait quel âge?

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  12. En mai le plus âgé de mes frères 86 ans a demandé l’aide à mourir. On lui a détecté l’alzheimer. Il était a un stade pas très avancé.
    Il avait aussi quelque chose à la gorge mais n’a voulu aucun examen. Il a dit au médecin que notre mère est décédée du cancer de la gorge et que lui ne passerait pas par là. Rien ne dit qu’il avait ce cancer pourtant on lui a accordé l’aide à mourir.
    Ici un loi est déposée pour qu’une personne atteinte d’alzheimer peut signer ses papiers de demande d’aide à mourir avant de ne plus en être capable et quand elle ne sera plus en mesure de s’occuper d’elle l’aide pourra être appliquée. Tout un challenge pour la personne qui en aura la charge.
    Je me suis posé bien des questions à la mort de mon frère… comment déterminer afin qu’il n’y ait pas d’abus.

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    1. Nous avons le même genre de loi ici en Belgique, le papier où on coche tout ce qu’on veut ou pas en fin de vie (quels soins oui, quels soins non, dans quels cas…) peut être « réglé » chez le médecin traitant mais il faut le faire signer par deux « témoins » qui ne peuvent pas être tous les deux ceux qui hériteront…

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  13. Mon ex mari, lorsqu’il a « perdu » sa mère (80 ans) m’a dit qu’il l’avait perdue deux ans plus tôt lorsqu’elle a commencé à ne plus le reconnaître.
    C’est terrible, et pour la personne concernée, et pour l’entourage.

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    1. oui c’est ce que mon amie vit avec sa mère, « ce n’est plus elle », la maladie change aussi le caractère et cette femme si douce est maintenant parfois agressive ou méchante envers ses enfants

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