Assis tout seul dans sa classe vitrée comme un aquarium, Désiré Denhaerinck corrige des copies.
Il a connu l’époque où le principal ennemi du prof était la paresse de l’élève. Aujourd’hui il est passé au stade suivant: le principal ennemi du prof est toujours la paresse de l’élève, mais avec à sa disposition tous les moyens modernes permettant de « générer du texte » sans se fatiguer.
Désiré Denhaerinck soupire. Il est fatigué, lui. Il a l’impression que les parois de son aquarium se resserrent et l’emprisonnent.
« Xénophon rapporte qu’Alexandre pleura quand il eut achevé la conquête du monde. Tamerlan et Attila, eux, pas une larme. »
Mais où donc vont-ils pêcher des idioties pareilles? Alexandre avait deux ans quand Xénophon est mort! Ce gamin veut-il le tester? Voir s’il va mordre à l’hameçon? Tomber dans le piège?
Désiré Denhaerinck a envie de voir d’autres rivages. Qu’est-ce qui lui a pris de vouloir devenir prof, alors qu’il aurait pu se faire planteur de rhubarbe à Vierzon ou taxiphone à Saint-Josse?
D’ici à la retraite, il y a quoi? Juste assez pour tenir le coup? ou presque?
Ou trop?
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Écrit pour l’Agenda ironique d’avril. Toutes les consignes sont chez Carnets Paresseux, qu’on remercie! On lui a aussi pris l’image en illustration 🙂
Vous aurez compris que le nom de famille Denhaerinck, très répandu par chez moi, se traduit par hareng, d’où le titre 🙂
C’était un peu bizarre et joyeux en même temps, de se retrouver nez à nez, après dix-huit ans sans s’être vus: Hendrik et l’Adrienne, l’aîné des neveux, juste dix ans d’écart entre eux deux et tant de choses en commun.
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Photo prise sous les arcades des Venetiaanse gaanderijen: les enfants des écoles primaires d’Ostende ont participé à un projet Ensor, vous devinerez sûrement à quel tableau on fait référence ici 😉
Pour réussir à faire rire Marinette sur une photo, il faut s’appeler oncle José.
Vous la voyez, là, avec ses chaussettes qui lui tombent sur les chevilles, ses sandales tout usées et son pull trop petit ? les bras ballants et se tenant toute raide, alors que l’oncle essaie de l’attirer vers lui ?
Vous voyez cette distance qu’elle garde, cette gêne ?
Et pourtant elle rit, oui elle rit de bon cœur, et ça c’est la magie de l’oncle José.
Il faut dire que l’oncle José a le rire sonore, tonitruant, auquel participe tout son corps : c’est pour ça qu’il se tient le ventre. C’est un vrai grand rire joyeux, décomplexé et communicatif.
La seule à qui ça ne fasse aucun effet, c’est son épouse, qui peut rester parfaitement imperturbable alors que toute la tablée est écroulée de rire devant ses mimiques et ses blagues.
Marinette soupçonne certains de rire encore plus fort rien qu’après avoir vu la tête de l’épouse, digne et droite dans ce tohu-bohu général.
Pour Marinette, c’est bien simple, l’oncle José n’a qu’à dire « Je vais installer le trépied, on va se faire une belle photo, tous les deux ! » et au lieu que ça la fasse stresser comme d’habitude, ça lui donne déjà la banane.
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Merci à Joe Krapov pour la photo et la consigne : On vous distribue trois photographies de gens ou de lieux qui vous sont inconnus. Faites comme si elles avaient un lien avec vous. Faites parler ces photos. Qui sont ces gens ?
Où l’on peut voir que les touristes et leurs commentaires agaçants sont de tous les temps:
“J’allai voir, hier, à leur campagne, des amis qui reviennent d’Angleterre. Comme ils ont coutume de le faire, ils m’ont raconté des merveilles de ce pays; les agents de police y sont respectés; les postes et les téléphones y vont parfaitement bien; les fauteuils sont construits pour que l’on s’y repose; et ceux qui n’ont rien à dire ne disent rien.”
Alain, Propos d’un Normand, 3 janvier 1909, cité par Philippe Didion dans ses Notules du 7 janvier 2024.
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Photo prise à Bradford pendant l’été 2019, où Madame s’est demandé quel était l’impact de ces règlements 😉
Alors le soir, chaque soir, l’Adrienne est bien fatiguée et la seule chose qu’elle réussit à faire, c’est de se coucher avec son PC pour regarder un navet de Noël.
Et s’énerver un peu parce que franchement, les scénaristes utilisent toujours le même canevas 😉
Mais de cela, il a déjà plus ou moins été question ici.
Vous vous souvenez que la maison voisine était à vendre, qu’elle a rapidement été vendue, mais que depuis des mois on attend l’arrivée des nouveaux propriétaires?
La question que l’Adrienne se pose depuis des semaines est celle-ci: une fois que l’affichage « vendu! » est posé, à qui appartient le bien?
Parce que le seul qui y passe encore à tout moment, c’est le vendeur.
Parfois, le soir tard ou le dimanche après-midi, l’Adrienne entend du bruit à côté. On ouvre et ferme des portes.
Les premières fois elle se disait: ça y est! mes nouveaux voisins sont arrivés! Mais c’était chaque fois le vendeur. Que venait-il y faire? Mystère!
Ces dernières semaines, il utilise la pièce qui donne sur la rue comme étalage pour vendre quelques meubles…
On peut donc en conclure que les acheteurs ne vont pas encore arriver dans les prochains jours et que le vendeur se considère toujours comme le propriétaire des lieux, qu’il aime hanter à toute heure du jour ou de la nuit 🙂
En effet, l’Adrienne ne peut que le confirmer: quand monsieur Neveu lui a demandé de lui faire visiter « les incontournables » de Berlin, en juillet 2018, aucun des guides consultés, ni sur papier ni en ligne, ne faisaient mention de ce mémorial où étaient détenus les prisonniers politiques, à Berlin Est, entre 1945 et 1989, sous un régime terrible de torture physique et surtout psychique.
Ce sont, raconte Daniel Kehlmann, d’anciens détenus qui vous guident dans le bâtiment.
Ils ne savaient pas même qu’ils se trouvaient à Berlin: la prison n’était mentionnée sur aucune carte et on les y amenait en bus blindé, en faisant assez de tours et détours pour qu’ils aient perdu toute notion de lieu et de distance.
Jamais un détenu n’y était en contact, pas même visuel, avec un autre détenu. A tous on disait que désormais leur identité était « détenu numéro un« , comme si la prison n’était là que pour eux.
Tout autour se trouvaient – et se trouvent encore – les blocs d’appartements où vivaient les geôliers et les autres membres du personnel. Ils y vivent toujours, eux-mêmes ou leurs enfants.
Parfois, écrit Daniel Kehlmann, un de ces anciens agents de la DDR se mêle aux visiteurs et invective le guide, le traite de menteur, d’imposteur: tout ça tu l’as inventé! tu n’en as aucune preuve!
Au fil de la lecture on se demande jusqu’où ira « le pire »: être enfermé sans jamais voir la lumière du jour? la torture de la cellule où il est interdit de s’asseoir ou de s’allonger? les interminables interrogatoires?
Puis on lit que ce travail d’interrogateur s’apprenait dans une université spécialisée, à Potsdam, un cursus de quatre ans.
Ce qui veut dire, conclut Daniel Kehlman, qu’il y a en Allemagne, à des postes divers, des gens qui ont enseigné ou étudié à cette université et suivi cette formation.
Mais comme par hasard, tous les dossiers les concernant ont « disparu ».
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Le documentaire de la vidéo ci-dessus est basé sur l’œuvre autobiographique d’une ancienne détenue, Elisabeth Graul.
C’est un peu comme cela qu’il faut se le représenter, mais alors ornant une façade de maison de maître au lieu que ce soit un portillon: un magnifique rosier grimpant aux fleurs rose pâle, probablement un New Dawn.
Chaque fois que l’Adrienne passait devant, elle l’admirait. C’est le genre de beauté qui donne du bonheur.
Mais hier, patatras! un couple – les propriétaires, apparemment – était en train de tout couper.
Un massacre.
– Quel dommage! n’a pu s’empêcher de commenter l’Adrienne. – Ah oui, nous aussi on le trouve très dommage, a répondu la dame, mais c’est pour pouvoir rénover la façade.
Puis elle a ajouté:
– Et vous voyez, on ne coupe pas tout!
En effet, il reste une sorte de tronc tout nu, le long de la porte d’entrée.