O comme oncle

La petite a une Tantine de vingt ans qu’elle aime beaucoup. 

Ce dimanche, elle est accompagnée d’un grand maigre aux yeux bleus. 

– C’est ton oncle, annonce-t-elle joyeusement. 

La petite ne comprend pas comment elle peut tout à coup avoir un oncle de plus. Elle ne dit rien et l’observe en gardant les mains derrière le dos. Il se baisse pour l’embrasser. 

– C’est mon fiancé, explique Tantine. 

Le nouvel oncle est plein de bonne volonté. 

– Tu viens avec nous au Memling ?  

Elle ne sait pas ce que c’est, le Memling, mais elle voit tant de gentillesse dans les yeux bleus qu’elle décide d’accorder sa confiance. 

Ils s’asseyent tous les trois autour d’une des petites tables de bois sombre, dans le coin près du comptoir. 

– Tu veux un coca ? 

A bientôt cinq ans, elle ne connaît pas ce breuvage mais elle fait oui de la tête. 

– Avec une paille ? 

L’oncle n’a décidément que de bonnes idées. Elle lui sourit. 

La boisson a une couleur et une odeur bizarres pour quelqu’un qui n’a bu que de l’eau plate et de la limonade jaune-qui-pique. Elle la déguste à petites gorgées espacées pour montrer qu’elle est une enfant bien élevée. 

Elle s’ennuie et la chaise de paille s’imprime douloureusement dans ses cuisses. Pour passer le temps, elle admire la collection de porte-clés accrochée au-dessus du comptoir et suçote sa paille qui fait tout à coup des gargouillis incongrus, attirant l’attention des deux amoureux. Que va penser l’oncle, qu’elle est mal élevée, plus jamais il ne lui demandera de l’accompagner, elle fera honte à sa Tantine… 

– Tu veux encore un coca ? demande-t-il gentiment en voyant la bouteille vide. 

Elle secoue la tête « Non, non, merci ! ». 

 

C’est ainsi que dimanche après dimanche, son cœur se gonfle d’amour. Semaine après semaine, c’est un privilège de s’ennuyer sur une chaise de paille à siroter une boisson bizarre. À observer une immuable collection de porte-clés, pendant que l’oncle et Tantine parlent de choses qu’elle ne comprend pas. 

C’est si bon. Jusqu’au jour où sa mère voit ce bonheur et lui dit : 

– Oh ! il ne faut surtout pas te faire des illusions et croire que c’est parce qu’ils t’aiment bien, qu’ils t’emmènent avec eux. 

1964 email

la Tantine en robe de mariée, l’oncle au second rang et la petite en robe bleue

39 commentaires sur « O comme oncle »

  1. Moi, j’appelle ça une mère maltraitante, mais bon….qui suis-je pour juger ?
    Je me souviens de cette histoire et tu es très belle sur la photo.
    Des bises.

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  2. Chez moi, on appelle les gens comme cela de perpétuels rabat-joie.
    Restons polie ils sont vraiment plus que très embêtants. Et dire que s’ils disparaissaient on en serait peiné… :-(.

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  3. Oui, mamou, de vrais rabat-joies! J’en connais quelques-uns, une vraie plaie. Il y en a qui ont toujours le mot pour rire, mais ceux-là, ils ont toujours le mot pour glacer l’atmosphère… 😦

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  4. Guérit-on jamais de parents mal-menants (je n’ose pas dire maltraitants) ? Comme vous, Alphonsine, je ne suis pas guérie mais la retenue dont Adrienne fait preuve m’aide sur mon chemin vers l’apaisement.
    Quelle jolie demoiselle d’honneur pour le mariage de Tantine et son gentil fiancé ! Un sourire dans lequel je crois déceler la réserve des enfants qui manque de sécurité affective, peut-être n’est ce qu’une projection …
    Demain vendredi, c’est piano ? 😉 Bonne fin de semaine.

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  5. la photo non, il n’y a pas longtemps qu’elle est en ma possession, et elle m’a rappelé ce souvenir que j’ai déjà raconté (en partie, sans la chute, mais avec le memling et les porte-clés et le coca)

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  6. merci Berthoise, j’étais très fière de ma responsabilité, avec le coussinet où reposaient les alliances, j’ai dû longuement en prendre soin, 🙂 là on n’est encore qu’à l’hôtel de ville (la mairie) et après seulement on va à l’église

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  7. on ne guérit jamais de ça, je pense, en tout cas je fais beaucoup d’efforts depuis de nombreuses années, mais de temps en temps ça revient, ça déboule, ça se force un passage au travers de mes trois carapaces 😉
    j’évite au maximum d’en parler!

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  8. merci Nicole
    si lire mes quelques témoignages t’aide, tant mieux, et je regrette de faire de la peine à Alphonsine.
    Pour moi le choc à la fois salvateur (parce qu’il expliquait des choses) et très pénible (parce que je m’y reconnaissais) a été la lecture de Poil de Carotte
    c’est là que pour la première fois j’ai su que ça existait, une mère qui n’aime pas son enfant, que ce n’était pas que moi

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  9. c’est vraiment étonnant, la seule photo de l’album de famille où je souris (un peu) est celle que j’ai montrée un jour, avec ma grand-mère (elle est sur le carrousel qui me sert de bannière)
    et dans l’album il n’y a aucune photo du mariage de ma tante

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  10. Et dire que certains osent affirmer que la littérature est inutile ! Je n’étais pas capable d’oser faire le lien avec ce que je vivais, je me contentais de vivre par procuration cependant je me souviens davantage de l’impact de Vipère au poing parce que ce livre, contrairement à Poil de Carotte, était inconnu de mes parents.

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  11. en fait, je suis un peu comme Alphonsine, à part Poil de Carotte (qui m’a été utile comme eye opener) j’évite ce genre de lecture parce que ça me rappelle des choses vraiment douloureuses (j’ai commencé Vipère au poing mais j’ai arrêté cette lecture)

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  12. Oh oui, le sourire de la petite fait très plaisir à voir :o) !
    et j’ai beaucoup pleuré à la lecture de Poil de Carotte, exactement pour les mêmes raisons que toi, même si je me consolais en trouvant que son histoire à lui était bien plus triste que la mienne.

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  13. Dire une telle chose à son enfant est-ce de l’inconscience, de la méchanceté, une jalousie ou un problème majeur de la mère…
    On reste marqué profondément par des paroles ou actes dit ou fait par des adultes… Enfant notre confiance est grande et pure on n’a pas de protection et ça entre en nous et laisse des marques pour longtemps et parfois même pour toujours.

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  14. Il y a une très jolie lumière émanant de ce visage d’enfant avec ce sourire particulier. Oui, vraiment, vraiment joli, qui dépasse la superficialité du mot lui-même. L’expression d’une profondeur manifeste semble éclore à la surface de tes traits. C’est en tout cas ce que j’ai perçu, ce n’est pas une flatterie.
    En observant la photo attentivement, c’est indéniablement la petite fille qui retient toute l’attention. Ce jour-là, tu as volé la vedette aux mariés 🙂

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