L comme Laure

2019-10-29 (5)

Cette jolie dame s’appelle Laure Sallambier et elle est la mère d’Honoré (de) Balzac.

Sur ce site on peut lire un bout de biographie assez éclairante:

Le 20 mai 1799, à Tours, naît Honoré de Balzac. Son père, Bernard-François Balssa (ayant transformé son patronyme en Balzac) né en 1746 à la ferme de La Nougayrié dans le Tarn, était fils de laboureurs. Après être monté à Paris et avoir rempli diverses fonctions dans l’administration royale, il avait sous la Révolution adhéré aux idées nouvelles et fini par être nommé directeur des vivres de la 22ème division militaire à Tours. Sa jeune mère, Anne-Charlotte-Laure Sallambier, née en 1778, était issue d’une famille de petits bourgeois parisiens faisant commerce de draperie et autres articles de mercerie. Balzac en garda le souvenir en faisant de M. Guillaume, dans La Maison du Chat-qui-pelote, un maître drapier de la rue Saint-Denis et de la cousine Bette, l’héroïne de l’un de ses derniers romans, une ouvrière en passementerie.

L’enfant fut mis en nourrice à Saint-Cyr-sur-Loire comme sa sœur Laure née le 20 septembre 1800 avec qui il noua des relations de confidence et de complicité qui ne se démentirent pas au fil des ans. Il y resta à peu près quatre années, ne regagnant le domicile de ses parents qu’au début de 1803. Devenu adulte, Balzac a interprété cet éloignement de manière sévère, prétendant n’avoir été que « l’enfant du devoir » et avoir été mal aimé voire haï par sa mère (Lettre à Mme Hanska du 17 octobre 1842). De ce fait, les mauvaises mères abondent dès les romans de jeunesse puis dans La Comédie humaine.

Pour ceux que ça intéresse, la suite ici.

Dans cette fameuse lettre du 17 octobre 1842 à Ève Hanska, il écrit ceci:

Madame de B… (1) a été ma mère, et Dieu, en me la retirant, m’a bien frappé, car si vous saviez ce qu’est ma mère!… C’est à la fois un monstre et une monstruosité ! Dans ce moment, elle est en train de tuer ma sœur, après avoir tué ma pauvre Laurence et ma grand’mère. Elle me hait pour bien des raisons; elle me haïssait avant que je fusse né. Mais, pour vous la peindre d’un seul trait, voici le dernier mot qu’elle a dit. Elle sait tout ce qu’est Gavault (2) pour moi, et elle a dit : « Oh! si j’allais voir M. Gavault, en deux heures je le mettrais contre mon fils! » Aussi, ne vous étonnez jamais si, quelque jour, vous me voyez dire à mon Ève de ne la voir qu’en cérémonie, une fois par mois, pour cinq minutes. Ma mère a un masque qui est effrayant. Je viens de voir ma sœur, qui est dans le plus fâcheux état, avec une de ces inflammations de femme qui obligent à se mettre entre les mains de Lisfranc (3) et qui sont causées par des peines morales chez les âmes tendres. Or, ma mère abreuve ma sœur de scènes cruelles pour le cœur, depuis un an. Moi, j’ai failli rompre avec ma mère; ce serait une nécessité. J’aime mieux continuer à souffrir. C’est une plaie que rien ne peut guérir. Nous l’avons crue folle. Nous avons consulté le médecin qui est son ami depuis trente-trois ans, et il nous a répondu : « Hélas! elle n’est pas folle, elle est méchante! » En 1822, mon père me dit que je n’aurais pas dans la vie de plus cruelle ennemie que ma mère; madame de B… m’avait dit de ne jamais la voir. Mais ma mère s’est ruinée sans avoir jamais voulu prendre mes conseils; je lui dois du pain, et tant que je ne le lui aurai pas assuré, je ne puis pas secouer les lois sociales et naturelles, quoiqu’elle ait tout rompu. Voilà, dans tous mes malheurs, le plus grand Elle ne nous pardonne pas ses fautes. Il faut vous bien aimer pour vous verser au cœur ces terribles confidences!… Ma mère est l’auteur de tous mes maux, et aujourd’hui encore elle me calomnie, elle me donne des intrigues fausses, elle me marie tous les quinze jours ! Non, ne parlons plus de cela.

(1) Laure de Berny
(2) Maître Gavault, l’avoué de Balzac, qui le traite plus en ami qu’en client
(3) Jacques Lisfranc de Saint-Martin, médecin, chirurgien

Dans une autre lettre à Ève Hanska (1846) il parle de son enfance :

« Je n’ai jamais eu de mère ; aujourd’hui, l’ennemi s’est déclaré. Je ne t’ai jamais dévoilé cette plaie ; elle était trop horrible, et il le faut le voir pour le croire. Aussitôt que j’ai été mis au monde, j’ai été envoyé chez un gendarme, et j’y suis resté jusqu’à l’âge de quatre ans. De quatre à six ans, j’étais en demi-pension et à six ans et demi, j’ai été envoyé à Vendôme, j’y suis resté jusqu’à quatorze ans, en 1813, n’ayant vu que deux fois ma mère. De quatre à six ans, je la voyais les dimanches. Enfin, un jour, une bonne nous a perdus, ma sœur Laure et moi ! Quand elle m’ a prise chez elle, elle m’a rendu la vie si dure qu’à dix-huit ans, en 1817, je quittais la maison paternelle et j’étais installé dans un grenier, rue Lesdiguières, y menant la vie que j’ai décrite dans La Peau de Chagrin. J’ai donc été, moi et Laurence, l’objet de sa haine. Elle a tué Laurence, mais moi je vis, et elle a vu mon adoration pour elle se changer en crainte, la crainte en indifférence ; et aujourd’hui elle en est arrivée à me calomnier… »

***

photo prise à la maison de Balzac, rue Raynouard – pastel oeuvre anonyme (vers 1798, donc elle a vingt ans – Honoré naît en 1799)

On peut lire ici les lettres de Balzac à Madame Hanska, publiées de manière posthume sous le titre ‘Lettres à l’étrangère

21 commentaires sur « L comme Laure »

    1. toute publication de correspondance intime me dérange, plus elle est récente, plus elle me dérange…
      Il n’en parle que deux fois, à des moments fort difficiles, et ces lettres à Mme Hanska n’étaient sûrement pas destinées à être publiées

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  1. Après avoir lu Balzac (de nombreux romans mais pas tous car il a quand même énormément tartiné) j’ai souvent pensé que ses relations avec sa mère étaient peut-être dues à ce qu’était son père, j’ai souvent pensé à Flaubert qui dans « Madame Bovary » écrivaut « Les femmes ont été la plupart du temps si mal commencées par leur mari, qu’elles n’ont pas le courage de recommencer » ce qui n’aide pas à aimer les enfants, surtout à une époque où il fallait en faire douze pour en voir trois atteindre l’âge adulte.

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    1. dans ce cas-ci, ce qui avait retenu mon attention était l’énorme différence d’âge: à 19 ans elle épouse un homme qui en a 52…
      (seul son premier-né est mort tout bébé, les autres ont atteint l’âge adulte)

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      1. A cette époque, les hommes se mariaient tard car ils devaient « être établis ».
        Et on mariait les filles jeunes pour qu’elles fassent « de beaux enfants » et ne soient pas trop « au fait de la vie ».
        Inutile de te dire que l’amour n’avait pas sa place dans ce qui était une transaction plutôt qu’une union.
        Je te laisse deviner ce que pouvait être un câlin dans ces conditions, un viol institutionnel…

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  2. Ca n’est pas facile non plus de donner naissance à un monstre qui se drogue au café et pond autant de romans sinon plus que la folle Amélie Mélo !

    Et maintenant la krapoverie du jour :

    « La graphomanie des romanciers : déboiser pour dégoiser » !

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  3. On m’a insufflé l’idée que les garçons/hommes étaient tous en adoration devant leur mère. Et qu’ils la recherchent dans la compagnie féminine.

    Et je m’aperçois que c’est rarement le cas.

    Pour Honoré, il faut dire qu’il en avait quelque raison. Mais l’éloignement n’est-il que le fait de la mère, et non celle du père. A creuser.

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  4. Il aurait dire, avance : « Familles, je vous hais! » Ou plutôt : « Mères je vous hais! »…
    Oui c’est sqa mère qui le haïssait mais il y a bien dû y avoir un moment où il a haï sa mère même s’il y est devenu indifférent à la fin.

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  5. Oui, elle a un bien joli minois, la « monstruosité » dénoncée par Balzac ! Finalement, à notre époque, on peut mieux comprendre ces femmes mariées si jeunes à des « vieux » qu’elles n’aimaient pas et pondeuses d’enfants parce que c’était leur devoir ! Il n’en reste pas moins que les enfants en sont les victimes innocentes !

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