Stupeur et tremblements

Puisque tu ne veux plus vivre
brisée broyée brassée par les cailloux
que tu as fini le livre
puisque nous vivons

puisque tu ne veux plus te battre
contre les démons les fantômes
les masques cramoisis la vie grisâtre
puisque nous nous battons

puisque tu vois les vautours qui s’envolent
assassinant le ciel de leur cou décharné
ceux qui donnent des gnons et des torgnoles
puisque nous ne les voyons pas

puisque tu n’approuves pas les enfants que l’on arrache
le carcan qui sertit le cou du prisonnier
les coups de pied au cul et les coups de cravache
puisque nous approuvons

puisque tu n’admets pas le pauvre et le riche
et le mal et le bien et l’aumône et le poing
le fort sur son trône et le faible dans sa niche
puisque nous admettons

puisque tu n’acclames pas les meilleurs et les pires
les singes chamarrés les chiens qui font le beau
les hyènes les chacals les chameaux et les sbires
puisque nous acclamons

puisque tu ne tolères pas le bon dans la mélasse
l’enfer le feu la guerre la prison
les malheurs éternels l’imbécillité crasse
puisque nous tolérons

puisque tu dis non aux misères des hommes
tu as fermé le livre
un beau samedi d’avril

***

merci à Joe Krapov pour ses consignes – une photo de Gilbert Garcin, un poème de Raymond Queneau – ce qui a enfin permis à Madame d’exprimer un peu de son désarroi face à la mort d’une jeune fille de 22 ans.

32 commentaires sur « Stupeur et tremblements »

  1. Merci pour cet hommage. Vos mots me font pleurer.
    Courage à tous ceux qui sont confrontés à « des services bien lourds pour leurs jeunes épaules » et à leurs familles qui se sentent démunies.

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  2. Le désarroi toujours nous étreint jusqu’au cœur, nous coupe bras et jambes, et la parole aussi, devant tant de douleur, devant l’injuste sort, devant le point final bien trop tôt asséné. Alors quelque poète nous prêtera ses mots dont surgiront les nôtres, pour adoucir la plaie et nous forcer à vivre, envers et contre tout.

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  3. …Colère vibrante, quand enfin ton magma se répand sur les parois de notre sentiment, ton soufre, libéré, n’encombre plus mon souffle…
    Fichtre, quel billet, Adrienne !
    J’imagine, au nombre des commentaires qu’il suscite (que je n’ai pas lus), que tout cela participe d’une puissante catharsis. Je te la souhaite profitable et bénéfique.

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      1. voilà, je comprends
        (je peux encore me rappeler sa voix mais c’est la première chose que je « perds » des êtres aimés, bizarrement je peux me souvenir de l’odeur de ma grand-mère, par exemple, mais je ne peux plus entendre sa voix… j’ai dû être chien ou chat dans une vie antérieure ;-))

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