En passant à côté de l’étang, une dame à vélo suscite tout à coup un tel énervement chez les oies, les canards et les pigeons, un tel branle-bas, que l’Adrienne se demande ce qui se passe.
Les deux oies sonnent l’alarme, les canards quittent l’étang et une nuée de pigeons vient s’abattre autour de la cycliste. Un des canards, plus pressé encore que les autres, a failli se casser le cou en atterrissant sous sa roue.
Vous l’avez deviné: la dame s’est arrêtée net, a sorti un grand sac blanc d’une des sacoches de son vélo, tous les oiseaux se sont tus, se tenant en un cercle serré autour d’elle et elle a commencé à distribuer du pain.
Oui, c’est interdit, mais comme disait Mitterrand: « Et alors ? »
Au bout du jardin, à gauche de la petite haie de troènes que grand-père taille au moins quatre fois par été, parce que c’est sa fierté de la garder toute fine, au bout du jardin donc il y a le portillon.
C’est par là qu’entrent tous les habitués de la maison, sans sonner ni frapper, ils poussent le portillon, remontent le sentier et arrivent tout doit à la cuisine. Où ils entrent sans plus de façon et sont accueillis par grand-mère.
Il y a une chose bizarre à propos de grand-mère: elle qui est si peureuse qu’elle fait vérifier par la petite si le gaz est bien éteint, si le verrou est bien mis, si les clés sont à leur place, ne semble pas craindre que le rôdeur, que le voleur d’enfants, entre par le portillon.
Le danger, elle l’a déjà souvent dit à la petite, le danger est au dehors: au-delà du portillon.
Alors de temps en temps, au moins une fois par jour, la petite va vérifier si elle voit du danger, de l’autre côté du portillon.
Mais la rue a toujours son même air, avec sur la gauche la belle auto noire d’Albert luisant de tous ses chromes, avec en face sur la droite les rideaux de Rachel tirés d’un côté, parce qu’elle aussi aime bien vérifier les dangers de la rue.
Parfois – c’est rare, mais ça arrive – parfois une amie ou une cousine de grand-mère amène son petit-fils.
C’est toujours l’occasion d’apprendre un nouveau mot – qu’on ne pourra hélas pas utiliser, mais qu’on retiendra tout de même – et de faire une chose nouvelle, dont on apprendra juste après qu’elle était interdite.
– Qu’est-ce que vous faites, là? demande grand-mère.
– On fait de l’escalade, répond Alain, le petit-fils de cousine Jeanne.
De l’escalade, rigole la petite, alors qu’il suffit de pousser le portillon.
Mais elle se tait, bien sûr.
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Écrit pour Filigranes avec la photo et la consigne d’avril. Merci!
Food craving? Mais keske cèksa? se demande Madame en voyant la requête d’une ancienne élève pour son travail de fin d’études universitaires.
Homme ou femme, si vous ressentez ce « food craving » au moins une fois par semaine, vous pouvez vous proposer pour participer à l’enquête. Le logo de la faculté de Médecine doit prouver le sérieux de la chose.
Bizarrement, wikisaitout n’a pas encore traduit sa page en français. Ailleurs on trouve des traductions comme ‘fringale’ ou ‘craving alimentaire’ 😉
Pour ce qui est de trouver des personnes susceptibles d’aider l’ancienne élève à constituer son panel, Madame ne se fait plus de souci: elle lit que 90% des gens connaissent ce phénomène et ont régulièrement des envies compulsives de nourriture – principalement grasse et sucrée – ce qui les fait se ruer sur le placard où est rangé le chocolat, vider tout le pot de crème glacée ou se gaver de chips devant la télé.
Ah et la bonne nouvelle c’est qu’il ne faudrait pas s’en inquiéter ni se priver si on veut avoir la frite 🙂
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Photo d’un des groupes carnavalesques de ma ville, il y a une paire d’années.
Comme chacun sait, pour la restauration de la cathédrale, on aurait pu choisir le béton, comme on l’a fait pour Reims et Nantes, mais le président s’en est mêlé et malgré les pétitions des « réflexes d’Idéfix » c’est le chêne qui a été choisi.
Pas n’importe quel chêne, bien sûr, mais précisément les plus beaux et les plus vieux exemplaires, deux mille magnifiques chênes, de ceux qui mettent cent, cent cinquante, deux cents, deux cent cinquante ans à pousser… et peuvent eux aussi partir en fumée en quelques heures.
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Photo prise à Paris le 2 janvier, où on peut voir – ou deviner – la forêt de deux mille chênes dont certains avaient 300 ans.
Vlad a les cheveux très courts dans la nuque mais une longue mèche sur le front et devant les yeux, qui lui donne beaucoup de travail 😉
– Quelqu’un de ma classe m’a dit que je ressemble à une fille, avec mes cheveux comme ça, dit-il en relevant sa mèche pour la dixième fois au moins. – Oh! tu peux être tout à fait tranquille, le rassure Madame. Que tu portes tes cheveux comme ça ou vers l’arrière ou même en chignon, tu es bien un garçon, il n’y a pas de doute possible.
Il n’a pas l’air tout à fait convaincu alors Madame ajoute:
– Il ne faut pas prendre trop au sérieux ce que dit à ce propos un garçon de ta classe! – C’est une fille qui me l’a dit! – Ah! mais ça change tout, alors, rit Madame. Dans ce cas, le message n’est sûrement pas que tu ressembles à une fille 🙂
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L’Adrienne reçoit un message de Nana, la fille de George. Elle voudrait la rencontrer.
C’est vrai qu’elles ne se sont jamais vues, sauf une fois, quand Nana et son jumeau étaient encore dans leur poussette 😉
Aujourd’hui elle est adulte et travaille en Angleterre.
– Quelle coïncidence! lui écrit l’Adrienne, c’est précisément le pays qui était la destination de ton père, quand il a quitté l’Afrique. Mais à Anvers on ne l’a pas laissé continuer sa route. – Ah bon? fait-elle, je ne savais pas du tout ça!
Mais que sait-elle de son père, en fait, se demande chaque fois l’Adrienne, qui conclut:
– Alors il est plus que temps que tu viennes et que je te raconte…
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L’école était finie quand Madame et la directrice traversent la cour et rencontrent deux jeunes filles qui ont noué leur foulard autour de leurs cheveux.
– Zut! dit la directrice, faudrait que je leur fasse la remarque! – Mais pourquoi? demande Madame. L’école est finie, elles ont quitté les bâtiments, elles ont le droit!
Apparemment non.
– Je ne suis pas d’accord, dit Madame.
Ce qui ne sert à rien, bien sûr, mais au moins on est contente de l’avoir dit 😉
Pour cet ouvrage collectif sur la culture européenne, c’est Sofi Oksanen (1) qui a été choisie comme représentante de la littérature contemporaine finlandaise.
Elle raconte comment en 1981, petite fille de quatre ans, elle vit sa première expérience du voyage entre l’Estonie, pays de sa mère où vivent encore ses grands-parents maternels, et la Finlande, pays de son père.
Comment cette fois-là et toutes les autres fois, la petite fille est frappée par les différences énormes d’une rive à l’autre de la mer Baltique, à commencer par l’abondance de produits de toute sorte sur le bateau, qui pourtant est russe.
Als je vier jaar oud bent, zijn de grenzen tussen staten een zuivere abstractie; maar zodra ik aan boord van de Georg Ots ging, zag ik hoe de kloof tussen de USSR en het Westen op slag concreet gestalte kreeg. Quand on a quatre ans, les frontière entre les États ne sont que pure abstraction; mais dès que j’étais à bord du Georg Ots, le gouffre entre l’URSS et l’Occident devenait concret d’un seul coup. (p.37-38, traduction de l’Adrienne)
Ensuite, l’arrivée en Finlande et les formalités douanières:
Beleefde douaneambtenaren, een onberispelijk nette terminal, formaliteiten in een oogwenk achter de rug… […] Ik werd meteen door een fundamenteel verschil getroffen: de gezagdragers behandelden ons niet als verdachte vijanden, en van de sfeer ging geen enkele dreiging uit. Des douaniers polis, un terminal d’une propreté parfaite, des formalités terminées en un clin d’œil […] j’ai tout de suite été frappée par une différence fondamentale: les autorités ne nous traitaient pas comme des ennemis suspects, l’ambiance n’était pas du tout menaçante. (p.38, traduction de l’Adrienne)
A chaque voyage vers l’URSS il y a la crainte de ne pas avoir tous les bons formulaires – même l’alliance en or de sa mère doit chaque fois être déclarée et est chaque fois contrôlée par les douaniers – et à chaque voyage vers la Finlande, la crainte d’une fermeture brutale de la frontière, qui rendrait impossible de revoir sa grand-mère.
Une grand-mère qui en 1989, au moment de la perestroïka, est persuadée que ce jour reviendra, où de l’Estonie on pourra de nouveau sortir librement. Et où on pourra entrer librement.
Une chose qui s’est réalisée mais qu’elle n’a plus pu vivre.
Si elle l’espérait, c’est qu’elle savait qu’une telle liberté de mouvement avait été possible, quand de 1920 à 1939 l’Estonie avait connu sa première République.
Les photos et autres documents témoignant de cette époque devaient être cachés – on les cachait par exemple sous le papier peint – mais aujourd’hui ils réapparaissent:
Ze [die foto’s] zeggen me dat de dictatuur uiteindelijk altijd door het papier wordt overwonnen, en dat dat een wezenlijke pijler is van de democratie: geen enkel totalitair systeem is in staat om het verleden naar eigen willekeur vorm te geven als de tijdgenoten de gebeurtenissen hebben opgeslagen zoals ze zich werkelijk hebben afgespeeld. Ces photos me disent qu’en fin de compte, la dictature est toujours vaincue par le papier, et que c’est un des piliers fondamentaux de la démocratie: aucun régime totalitaire n’est capable de créer un passé selon son propre gré, si les contemporains ont conservé le témoignage des événements tels qu’ils se sont véritablement déroulés. (p.50-51, traduction de l’Adrienne)
Et ça, c’est tellement vrai et tellement émouvant: c’est exactement le rôle que jouait Mamaie dans sa famille, là-bas dans la Roumanie de Ceausescu: raconter et témoigner de ce que la vie roumaine était pendant les années 1930, avec à l’appui quelques vieilles petites photos de temps heureux, où elle avait une belle maison, un grand jardin, et un abricotier qui donnait les meilleurs fruits du monde…
Ceux qui ont eu l’idée de baptiser ‘aquafaba‘ cette eau blanchâtre et à l’odeur… euh… pas trop agréable, ont eu bien raison: c’est plus alléchant, donc plus vendeur, que eau-de-cuisson-dans-les-conserves-de-pois-chiches.
N’est-ce pas?
Dimanche dernier – triste jour, le dimanche – elle a eu l’idée de tester une recette de mousse au chocolat à l’aquafaba.
Pourquoi? Parce que du chocolat et du cacao, elle en a toujours dans l’armoire, mais parfois elle n’a pas un seul œuf.
Et en effet, ça marche parfaitement, monter « en neige » cette eau… euh… (voir plus haut) et l’ajouter au chocolat fondu, bien mélanger. Ajouter du sucre si vous aimez, l’Adrienne a préféré y ajouter de la poudre de cacao.
Pourquoi? Parce que cette fameuse odeur, supposée disparaître par magie quand cette eau… euh… (voir plus haut) serait battue en neige, et bien non.
L’odeur reste.
Donc suivez le conseil, ajoutez-y de la poudre de cacao.
Et alors, « ça se laisse manger », aurait dit le père de l’Adrienne 😉
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avec un cappuccino, c’est encore meilleur! photo prise à Rome, vous voyez quand 😉