C comme Carl

Une autre chose qui aurait dû avoir lieu le 2 février, c’est la rencontre à Bruxelles de deux poètes que l’Adrienne aime beaucoup, le Français Thomas Vinau et le Belge Carl Norac.

Mais comme nous tous, au lieu de se voir « en vrai » ils ont dû avoir recours aux joies d’internet, et comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessus, c’est un exercice assez neuf pour eux aussi.

Mais c’est chouette à voir et à entendre, si on a une heure de repassage, de pause ou d’envie, tout simplement 🙂

Merci à eux et aux Midis de la Poésie!

***

Poème pour l’enfant au bord d’une page

La poésie fait son nid d’une main à peine ouverte,
elle peut suivre les lignes de la paume
et aussi vivre  dans un poing.
Elle est ce souffle inattendu qui patientait en toi,
ce temps posé sur l’instant, mais qui dure.
Si tu veux la dresser, change de livre,
délaisse les gens qui veulent la définir.
Elle aura toujours le coup d’aile d’avance
de l’oiseau quand tu veux l’attraper.

Un poème ne t’attend pas.
Il est là, même où tu l’ignores.
Il ne se veut pas forcément plus brillant
qu’une bruine qui s’amuse ou un soleil qui tombe.
Un poème ne fait pas pousser les fleurs :
c’est une parole entre deux lèvres
qui ne sauvera peut-être pas la Terre,
mais qui s’entendra,
se fendra d’un aveu, d’un amour, d’un combat.
Elle chantera encore quand d’autres s’agenouillent
ou s’enfuient devant la foule des bras tendus.

Aujourd’hui, tu vas écrire, me confies-tu.
Alors, vas-y, jette-toi dans la beauté.
Au bout d’une page, ou de quelques vers,
il y a parfois le début d’un univers.
Je te regarde : ce matin, tu te sens si poème
que tu crois pouvoir toucher,
pour dire le monde,
l’infini d’une seconde.

Carl Norac, source ici.

Wagon de train

C’est dans un wagon de train entre chez moi et Bruxelles que je trouve la réponse (définitive? on peut rêver ;-)) à un de mes questionnements:

« Je n’envie pas les faiseurs d’histoires, ces maîtres en abîme que l’on nomme romanciers. Je n’ai pas la prétention d’inventer des héroïnes invisibles qui ne sont souvent que papiers et chimères, chair évoquée à défaut de la chair. Je me sens bien plus aujourd’hui ce ramasseur d’images qui aime se distraire de toute diffraction des gens dans la lumière. »

Carl Norac, Métropolitaines, L’Escampette, 2003

Alors j’ai suivi son exemple et « croqué » deux héroïnes assises en face de moi dans le wagon de train:

Il y a longtemps qu’elle ne s’est plus lavé les cheveux. Ils sont gris et auraient besoin d’une coupe. Mais elle a abandonné tout effort d’élégance, enveloppée dans un long pull informe et large comme une canadienne à deux places. Il est d’une couleur bleuâtre qui ne l’avantage guère. Grosses chaussures, pantalon noir à pattes d’éléphant, et suspendue derrière elle, une parka beige un peu défraîchie contre laquelle elle se blottit. Sur ses genoux, elle tient un foulard rose vif à petits motifs fleuris, seule note un peu joyeuse dans cet ensemble triste.
Derrière ses lunettes, elle ferme de temps en temps les yeux. Puis les ouvre, me regarde, ou observe ce que fait la fillette de la dame d’à côté. Sans sourire.
Jamais elle n’a ni un mot ni un regard pour l’homme en face d’elle.

Elle a les cheveux qui lui tombent sur les épaules, séparés par une raie médiane. Dix centimètres de blondeur extrême, puis dix centimètres d’indécision, et trois centimètres franchement très bruns, comme ses yeux et ses épais sourcils. Elle est jeune. De la pochette sur ses genoux, elle sort d’abord un portable blanc pour annoncer où elle est (« je suis dans le train ») puis une petite tablette pour regarder des photos. Dans l’oreille droite, elle a un écouteur relié à sa petite boîte à musiques. De l’autre oreille, elle écoute le babil de sa petite fille…
Enfin, je suppose.

Je suis descendue à la gare Centrale, toute pensive.

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galerie de la Reine, ciel bleu de fin décembre 2011