P comme pieux

L’Adrienne était en route pour Ostende quand les premières notes se sont fait entendre.

« Petite fleur » a-t-elle murmuré.

C’est là qu’elle a entièrement compris pourquoi Marguerite Yourcenar a donné comme titre au premier tome de son œuvre autobiographique, celui où elle évoque son côté belge, maternel, « Souvenirs pieux« .

Il y a une forme de piété à perpétuer le souvenir d’un défunt.

« Petite fleur« , c’est un souvenir très ancien, qui avait fort frappé mini-Adrienne vers ses huit ans: il y avait quelque chose de particulier dans le ton et la voix de son père, lui semblait-il, quand dès les premières notes il disait « Petite fleur« .

Elle en avait conclu que c’était une musique importante pour lui et avait fait de son mieux pour être capable elle aussi de la reconnaître dès les premières notes.

P comme Pouêt Pouêt!

La rue est à sens unique, la vitesse est limitée à 30 km/h mais Fred s’en fiche.

Il s’est offert ce qu’il y a de mieux comme trottinette électrique et il ne voit vraiment pas de raison pourquoi il n’en profiterait pas.

Et puis à cette heure-ci, n’est-ce pas? La rue est si calme!

Il lui prend même l’envie de chanter ce que ses copains scouts et lui entonnaient joyeusement à toute occasion: « Elle descend de la montagne à bicyclette, pouêt pouêt! »

Et comme à ses douze ans, il s’amuse à faire des variantes tout en poussant sa petite machine à fond: « Il descend de la montagne en trotinette, pouêt pouêt! »

– Va falloir très vite réglementer tout ça, soupire l’urgentiste. Rappelle-moi le quantième c’est, ce mois-ci, qui se fait ramasser?

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Photo @ Fred Hedin pour la consigne 427 chez Bricabook – merci à eux deux!

P comme Plassans

C’est le 2 avril qu’il est né mais par un hasard de calendrier l’Adrienne n’arrivera que le 3 dans la ville où il a passé son enfance, de ses trois à ses dix-huit ans.

Elle ne pensait pas en faire un voyage littéraire, le but était d’abord qu’il soit musical, puisqu’on y organise un joli festival de Pâques, mais voilà, la ville compte d’illustres enfants dans d’autres domaines que la musique et principalement ces deux-là, amis de toute une vie, depuis les bancs de l’école, le peintre Paul Cezanne et l’écrivain Émile Zola.

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source de l’illustration ici, dessin de la ville de Plassans réalisé par Émile Zola en préparation de son roman La conquête de Plassans (paru en 1874).

Pour tout savoir sur les similitudes entre Plassans et Aix-en-Provence, voir l’excellent article ici.

Une brochure du service du tourisme d’Aix, Sur les pas d’Émile Zola, ici.

Et Sur les pas de Cezanne, ici.

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Billet écrit le 13 janvier 2023, jour du 125e anniversaire de la publication de l’article J’accuse (Lettre ouverte au président de la République, le 13 janvier 1898 in L’Aurore)

P comme parfois…

Parfois il suffit d’un ami qui a une automobile et d’un autre qui a une villa à Knokke-le-Zoute : tu sers de contact entre l’un et l’autre, ce n’est pas plus compliqué que ça pour t’offrir un week-end princier !

C’est vrai qu’apprendre à vivre demande plus qu’une vie et vous le savez comme moi, le temps dévore tout, alors il s’agit de ne pas le perdre et d’aller vite.

Moi, depuis toujours, je mets les bouchées doubles et je vais de l’avant.

Comme dit mon ami Robert, toi tu as vraiment une gueule de bon élève ! Avec un peu de chance, tu l’auras, ton étoile sur Hollywood !

Je sais qu’il se moque légèrement et il sait que mon but n’est pas Hollywood, de nous quatre personne n’est vraiment dupe et bien sûr personne n’est à l’abri d’un revers de fortune…
Mais il a raison, la gueule de bon élève, ça m’a bien aidé.

Alors si tout passe et tout casse, c’est une raison de plus, selon moi, pour ne pas tergiverser.

La question à se poser n’est pas « tu crois qu’on va y arriver? » mais plutôt « qu’est-ce que je dois mettre en place pour y arriver? ».

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Merci à Joe Krapov pour sa consigne – la même que celle utilisée pour L comme Lourdes – avec cette fois huit autres phrases parmi celles proposées:

C’est vrai, apprendre à vivre demande plus qu’une vie
Personne n’est à l’abri
Parfois il suffit d’un ami
Personne n’est vraiment dupe
Tu crois qu’on va y arriver ?
Vous savez, le temps dévore tout
Tu as vraiment une gueule de bon élève
Avec un peu de chance, tu l’auras ton étoile sur Hollywood

P comme Prof et Poète

Il est décédé cette année à l’âge de 42 ans, le 22-02-2022, de cette maladie qui souvent ne pardonne pas.
Il était prof et poète, le journal De Morgen publiait ses vers chaque jour de la semaine.

Le poème ci-dessous fait partie de ses derniers publiés, c’était au mois de janvier, P* n’avait pas encore envahi l’Ukraine.
Pourtant le titre est Poetin & co, Poutine et compagnie.

Zo is ’t altijd al gegaan
en zo zal het altijd blijven –
wat historici beschrijven,
wat er in de krant zal staan.

Mannen met een hart van steen
en een ruimbemeten ego
spelen laconiek Stratego
met de wereld om hen heen.

Winnaars, machtig en infaam,
die de spelregels verzinnen
of omzeilen om te winnen.
De verliezer heeft geen naam.

(Stijn De Paepe, Dagvers – « le vers du jour, frais du jour » qui paraissait quotidiennement dans le journal De Morgen – celui-ci a comme titre Poetin & co et a paru le 29 janvier 2022)

Ci-dessous l’Adrienne fait une tentative de traduction:

Il en a toujours été ainsi
et ce sera toujours ainsi –
ce que les historiens décrivent,
ce qu’il y aura dans le journal.

Des hommes au cœur de pierre
et à l’égo surdimensionné
jouent un Stratégo, laconiques,
avec le monde autour d’eux.

Des gagnants, puissants et infâmes,
qui inventent les règles
ou les contournent pour vaincre.
Le perdant n’a pas de nom.

P comme prénom

Jeudi dernier l’Adrienne s’est arrêtée pile en voyant l’auto-collant sur la vitre arrière d’une voiture garée.

C’était une de ces vignettes que quasiment tous les jeunes parents collent à l’arrière de leur véhicule pour indiquer fièrement qu’ils ont enfanté.

Elles existent en quelques variantes, et depuis les tout premiers « baby rijdt mee » (bébé à bord) c’est devenu l’habitude d’afficher le prénom.

Et là, surprise! Pour la première fois on pouvait lire « Omer rijdt mee« .

Omer, le prénom du grand-père paternel, prénom assez rare sauf peut-être dans le Nord et la Belgique au tournant du 20e siècle.

Prénom d’origine germanique – à ne pas confondre avec ses versions grecque ou arabe qui ont un sens différent – ‘aud‘ riche et ‘mar‘ célèbre, deux qualificatifs qu’on peut difficilement appliquer au grand-père, son prénom aurait plutôt dû signifier ‘brave homme’ 😉

Sur la photo prise sur la digue de Knokke-le-Zoute dans les années cinquante, il y a de gauche à droite Léon, Robert, Maurice et Omer.

Ne reste plus qu’à attendre que Robert aussi revienne à la mode 😉

P comme Pawtucket

C’est normal, si on y pense, que l’oncle Jozef se soit précisément installé à Pawtucket: la ville avait la même spécialité que celle d’où il venait, l’industrie textile.

Une ou deux fois par an, l’oncle Jozef envoyait une photo de lui à une de ses sœurs ou à un de ses frères et chaque fois on y voyait des choses incroyables!

C’est bien pour ça qu’il était le préféré de sa douzaine de neveux et de nièces, même s’ils ne l’avaient vu qu’une fois encore, juste avant la guerre.

Celle de 14, bien sûr.

Tous ils avaient dû attendre l’autre guerre, la suivante, et attendre d’être largement adultes, avant de voir de leurs propres yeux ce qu’ils avaient vu, enfants, sur une de ces photos: une moto à laquelle était attachée une sorte de barquette en métal brillant.

Et bien sûr, dans la barquette de la photo trônait l’oncle Jozef, en cravate, fumant le cigare, royal.

On ne comprenait pas tout, on ne savait même pas comment ça s’appelait, mais on comprenait l’essentiel: l’oncle avait si bien réussi ses affaires qu’il se faisait transporter au lieu de se fatiguer à marcher.

Et puis est arrivée cette photo-là.

Stupéfaction chez sa sœur Céleste.
Oserait-elle montrer ça à quelqu’un?
Jozef était-il devenu fou?
Avait-il vraiment ouvert une baraque de foire?
Et quelle sorte de baraque?

Personne dans la famille ne parlait ni ne comprenait un mot d’anglais. Mais aucun doute n’était possible: c’était bien lui, là, avec un chapeau et un nœud papillon, vendant des tickets à 10 centimes pour Dieu sait quelle sorte de spectacle!

– On ne va pas montrer ça aux enfants, a décidé Céleste après avoir consulté sa sœur aînée.

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écrit pour l’Agenda ironique d’août – merci à l’Ornithorynque pour la photo et la consigne!

La part de vérité est ici et le reste est fiction 😉

P comme petite culotte

Le samedi soir après le travail, Madeleine accompagne Richard. Elle est fatiguée. Son travail à la bonneterie est tuant. Pour pas grand-chose, finalement.

Le samedi soir elle accompagne Richard alors que tout ce qu’elle voudrait, c’est s’allonger, se reposer. Mais sa mère lui a bien dit et répété de ne pas laisser un homme sortir seul, si on veut le garder.

Alors elle l’accompagne. Finit son verre de rouge en s’appuyant contre la poitrine de son homme, plus confortable que la chaise. Trop lasse pour la conversation. D’ailleurs qu’ont-ils à se dire qu’ils ne sachent déjà? Elle sent qu’elle va finir par s’endormir.

Sur le site d’Amnesty International Belgique:

LA VIE D’UNE PETITE CULOTTE ET DE CELLES QUI LA FABRIQUENT

Film documentaire de Stéfanne Prijot, Belgique, 2018, VO St FR, 60’

« En vingt ans, la production mondiale de vêtements a doublé, impactant inévitablement notre planète : coût environnemental, précarité des conditions de travail, inégalités et injustices sociales, surconsommation, etc. Ce documentaire suit, de pays en pays, l’histoire de cette petite culotte et nous emmène dans l’intimité de 5 femmes, maillons d’une chaîne de production bien opaque. Le film questionne la valeur que l’on donne aux vêtements, et surtout aux vies de celles qui les fabriquent. »

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Oui vous avez bien lu Stéfanne, avec deux n, et c’est une fille 🙂

Merci à Monsieur le Goût pour son 131e devoir de Lakevio du Goût!

Cette toile de Joseph Lorusso vous inspire sûrement quelque chose.
Mais que peuvent donc se dire ces trois personnes ? À quoi donc pensent-elles ? Bah, d’ici lundi vous aurez bien une idée. Au moins, ça occupera peut-être les après-midi de canicule…

P comme panifiable

Photo de Expect Best sur Pexels.com

La farine et la levure sèche étaient déjà dans le bol, bien mélangées, l’Adrienne tenait le gobelet d’eau en main et au moment de l’y verser elle est prise d’un doute: la farine d’avoine est-elle bien panifiable?

La réponse est non, évidemment 🙂

Le pain n’est pas devenu plus épais qu’une galette.

Chez l’Adrienne, de temps en temps c’est z’azis puis ze réflécis 😉

Mais qu’à cela ne tienne, le goût était excellent 🙂