P comme poète grec

En attendant les Barbares

Qu’attendons-nous, rassemblés sur l’agora?
On dit que les Barbares seront là aujourd’hui.

Pourquoi cette léthargie, au Sénat?
Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui.
À quoi bon faire des lois à présent?
Ce sont les Barbares qui bientôt les feront.

Pourquoi notre empereur s’est-il levé si tôt?
Pourquoi se tient-il devant la plus grande porte de la ville,
solennel, assis sur son trône, coiffé de sa couronne?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que notre empereur attend d’accueillir
leur chef. Il a même préparé un parchemin
à lui remettre, où sont conférés
nombreux titres et nombreuses dignités.

Pourquoi nos deux consuls et nos préteurs sont-ils
sortis aujourd’hui, vêtus de leurs toges rouges et brodées?
Pourquoi ces bracelets sertis d’améthystes,
ces bagues où étincellent des émeraudes polies?
Pourquoi aujourd’hui ces cannes précieuses
finement ciselées d’or et d’argent?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que pareilles choses éblouissent les Barbares.

Pourquoi nos habiles rhéteurs ne viennent-ils pas à l’ordinaire prononcer leurs discours et dire leurs mots?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que l’éloquence et les harangues les ennuient.

Pourquoi ce trouble, cette subite
inquiétude? – Comme les visages sont graves!
Pourquoi places et rues si vite désertées?
Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux?

Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus
et certains qui arrivent des frontières
disent qu’il n’y a plus de Barbares.

Mais alors, qu’allons-nous devenir sans les Barbares?
Ces gens étaient en somme une solution.

Konstantinos Kavafis

Traduction du grec: Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras Source ici

Photo prise à Paris à l’expo Magritte

22 commentaires sur « P comme poète grec »

  1. Merci pour ce poème.
    Personnellement, je trouve qu’on a vu un peu trop de Barbares la semaine passée. Ils étaient déguisés en rivières débordantes et ont promis de revenir régulièrement.

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    1. dans le jeu politique on crée et on entretient la peur du « barbare », quel qu’il soit, au lieu de s’attaquer aux vrais problèmes (c’est déjà chez Montesquieu, si l’urgence climatique était telle qu’ils le disent ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur du climat?
      (il n’y a qu’à remplacer le mot esclavage ;-))

      J’aime

      1. Mais si Dieu, qui est un être très sage, nous a permis, à nous les riches, de vivre comme nous vivons, pourquoi devrions-nous changer?

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