Premier et dernier

O comme ordalie

Il n’a pas eu besoin de faire passer l’Adrienne par l’épreuve de l’eau ou du feu pour émettre sa sentence 🙂

Mercredi matin, après les sourires, les ‘bonjour!’ et la petite conversation d’usage, au moment où elle allait poursuivre sa route, il l’a hélée, a fait un geste par derrière l’épaule en direction de là d’où elle venait et a dit:

– C’est beau, là, ton…, ta…, ce que tu as mis, là!

Il voulait parler de la clôture, elle l’a compris, une quinzaine de mètres venaient d’être rajoutés juste la semaine d’avant.

Alors elle l’a remercié et est repartie avec un sourire encore plus large.

La journée avait mal commencé, mais trouver le monsieur à longue barbe grise sur le pas de sa porte, c’est toujours un heureux moment.

« ordalie » avait été proposé par Walrus pour le défi d’un de ces derniers samedis 🙂

J comme jaune

Il était là comme s’il l’attendait et d’une main il montrait la façade de son voisin: elle venait d’être peinte en jaune moutarde.

Het knalt! fait l’Adrienne en riant et il est bien d’accord.

Knallen‘ c’est le verbe qui exprime le crépitement sonore du feu d’artifice. Le bruit du bouchon de champagne qui saute. Ou du pot d’échappement troué.

Knalgeel‘, jaune pétant.

– Ils ont laissé les échafaudages, explique-t-il, parce qu’il faut encore une troisième couche.

Et voilà, se dit l’Adrienne un peu plus tard en poursuivant son chemin, tout ce quartier de maisons ouvrières made in 1922, qui est ‘site protégé’, ce qui interdit de facto d’isoler les murs extérieurs puisqu’il faut garder l’aspect authentique 1922, on a pu lui enlever ses jardinets de rue et on peut cacher la brique, les courbes et les reliefs sous les couleurs les plus diverses et les plus voyantes…

***

Le cher petit monsieur à longue barbe grise apparaît ici depuis une dizaine d’années, j’aurais dû lui prévoir un tag. On peut le trouver ici, par exemple, sauf que ces dernières années il est passé de la pipe aux cigarillos 🙂

N comme nienek!

C’était un grand type dans le genre Omar Sy qui parlait bien fort à cause des deux ou trois mètres de distance qu’il respectait envers le vieux petit monsieur à longue barbe grise.

Il parlait français, au grand étonnement de l’Adrienne.

Dès qu’il s’est éloigné, elle s’est tournée vers le bonhomme et lui a demandé:

Versta je Frans? (1)
Bah nienek! a-t-il répondu dans son néerlandais patoisant, démontrant que même s’il n’était pas originaire de cette ville, il était de pas trop loin, vu qu’il accole un pronom à ses réponses en oui ou non (2).

Non, il ne comprend pas le français:

– Je fais semblant, ajoute-t-il, rigolard.

Et l’Adrienne ne sait pas qui il trompe le plus avec cette blague, elle ou Omar Sy.

Quelques maisons plus loin, Omar Sy attend qu’on lui ouvre une porte où il a sonné.
– Alors? fait-il, il comprend le français?
– Il me dit que non…
– Moi je suis sûr qu’il comprend!

Bref, il a de l’humour, le bonhomme 😉

***

(1) Tu comprends le français?

(2) on accole le pronom sujet par élision (ik, het) ou apocope (tous les autres) à « ja » (oui) et « neen » (non) – le phénomène est illustré dans la vidéo ci-dessous pour le « ja » en ouest-flamand.

F comme fou chantant

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Il pleuvait des cordes samedi matin au retour du marché mais ça n’empêchait pas le vieux petit monsieur à longue barbe grise de chanter sur le pas de sa porte.

Ce qui est tout de même une nouveauté remarquable, vu que d’habitude, tout en fumant un cigarillo, il fait des blagues à l’Adrienne.
Et une causette 🙂

– Nous ne sommes donc pas deux, mais trois, se dit-elle en rentrant chez elle toute trempée de pluie.

Trois fous chantants.

Le troisième étant Joe Krapov, bien sûr, mais ça, vous l’aviez deviné 🙂

Première fois

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Dimanche est annoncée la première des « classiques de printemps », traduction littérale de ‘lenteklassiekers‘ ou ‘voorjaarsklassiekers‘, mots qui désignent les courses cyclistes ayant leur place fixe chaque année dans le calendrier.

Des panneaux et des affichages préviennent les habitants et les automobilistes que dimanche certaines rues seront livrées au passage des champions en maillot et qu’ils devront aller garer leur quatre roues ailleurs.

Et c’est bien la première fois qu’aucune de ces courses ne passera par la rue de l’Adrienne. Pas même la course mère et reine, le Tour des Flandres. Qui passera, rassurez-vous, juste à côté. Et même trois fois. Quand on a trois collines qu’on appelle ‘berg’, on se doit d’y envoyer suer les coureurs. Surtout si en plus il y a de gros pavés sur quelques tronçons spécialement préservés pour ces occasions-là.

Bref.

Bref, l’Adrienne peut commencer à croire gentil voisin à longue barbe grise, qui lui a prédit l’autre jour que les travaux commenceraient bientôt. En mars. Ou après mars. Ce qui a beaucoup fait rire l’Adrienne, qui a failli se mettre à chanter « ou à la Trinité! ou à la Trinité! »

Mais elle s’est retenue. Son gentil fumeur de cigares n’aurait pas compris 🙂

H comme heureux

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Le vieux petit monsieur à longue barbe grise a de vieilles baskets trouées rafistolées avec du fil de fer. Mais il a toujours l’air heureux.

Maintenant que les jardinets ont été remplacés par de la boue et de la pierraille – cinq fois déjà que les dernières fleurettes, les derniers vers de terre rescapés ont été dérangés pour divers travaux préparatifs – il se tient dans l’ouverture de sa porte et hèle l’Adrienne si l’échange doit être plus important qu’un bonjour météorologique.

Comme c’était le cas hier matin: il s’approche, une enveloppe blanche à la main, pour la faire lire à l’Adrienne. C’est l’annonce d’une naissance et une invitation à un ‘babyborrel‘. Quelle bonne nouvelle, s’écrie-t-elle, toutes mes félicitations! vous avez un petit-fils? Non, dit-il, c’est chez mon frère. Mais vous serez de la fête, dit-elle, c’est super!

Le vieux petit monsieur à longue barbe grise a de vieilles baskets trouées rafistolées avec du fil de fer. Mais il a toujours l’air heureux. Et toujours une bonne nouvelle à annoncer.

F comme Figaro, Figarette

Je vous ai déjà parlé quelques fois du vieux monsieur à longue barbe grise, qui est mon premier sourire du matin, ma première et dernière causette du jour.

Celui qui me tient au courant de la météo, de son état de santé, des bruits qui courent sur les travaux présents et à venir 🙂 

Je sais désormais qu’il a un Figaro dans sa vie, lui aussi, une Figarette qui vient le coiffer à domicile.

– Vous ne remarquez rien? me dit-il un matin d’avril.

Me voilà bien embêtée pour deviner.

Heureusement, l’explication suit: sa coiffeuse est venue lui couper les cheveux.

– Je lui interdis chaque fois de toucher à la barbe, dit-il. Et bien, elle me la coupe quand même!

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Le vieux monsieur toujours rieur, même à barbe raccourcie, posant devant son jardinet juste avant la dévastation. Il avait de magnifiques rosiers d’un rouge sombre et velouté, des crocus, des tulipes et une profusion de campanules et de muscaris.

 

Premier sourire

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Le premier sourire du matin, la première voix humaine, un bonjour, quelques mots, c’est souvent en route pour l’école, quand le petit monsieur à longue barbe grise fume sa pipe sur le pas de sa porte. 

Quand de loin déjà elle lui voit faire les quelques pas qui le séparent du trottoir, Madame sait qu’elle devra prendre le temps d’un moment d’arrêt: c’est qu’il a une communication à faire. 

L’autre mercredi, c’était pour annoncer que les « pierdemuilies » étaient arrivés en ville pour la kermesse d’hiver. 

Vendredi dernier, pour informer du changement d’heure et rappeler qu’il faudra reculer les aiguilles des montres, à trois heures du matin. 

Madame a une très forte sympathie pour ce petit bonhomme aux vêtements troués et quand sa porte reste close pendant deux ou trois jours, elle s’en inquiète. 

Puisse-t-il passer encore longtemps d’une kermesse à une autre, avec ou sans changement d’heure. 

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source de l’image ici

le photo en haut de page date du 27 octobre

« pierdemuilie » est dialectal et signifie manège, carrousel
(littéralement: moulin à chevaux, à cause du mouvement rotatif, sans doute)

R comme rouge

Il est à sa porte à heures plus ou moins fixes, pour fumer une pipe. Hiver comme été, et bien que vivant seul, il fume sur le seuil, laissant la porte entrebâillée. L’hiver, en vieux pull bleu troué, et en ces jours de canicule, en maillot de corps. 

On se salue, de loin. On échange un ou deux mots, pas plus. L’Adrienne est toujours pressée. 

Hier, dès qu’il la voit venir, il franchit les quelques mètres de son jardinet pour arriver jusqu’au trottoir: 

– J’ai pris un coup de soleil! s’exclame-t-il en montrant la peau nue sous la longue barbe grise. 

– Ah! fait l’Adrienne compatissante, faut faire attention, ces jours-ci! C’est dangereux. 

Puis il se retourne pour montrer son dos. Il a la nuque d’un rouge presque violet. L’Adrienne est très impressionnée et le lui dit. 

– J’ai enlevé un peu de mauvaises herbes dans mon jardin, explique-t-il. Pourtant, j’avais mis de la crème solaire! 

Depuis, l’Adrienne s’inquiète pour lui, et pour tous ces autres « petits vieux » de son quartier, la vieille dame toute cassée qui fait ses courses avec son antique vélo, celle qui marche avec une béquille d’un côté et un grand chien blanc de l’autre, celui qui a déjà été opéré deux fois à la gorge, celle qui porte avec fierté ses presque nonante ans… il fait beaucoup trop chaud, dehors et dedans, depuis trop longtemps.

ça se passe comme ça,vie quotidienne

la clématite de l’Adrienne a envahi le trottoir…