Peu de touristes visitent Hohenschönhausen, écrit Daniel Kehlmann dans le chapitre qui ouvre Le Grand Tour.
En effet, l’Adrienne ne peut que le confirmer: quand monsieur Neveu lui a demandé de lui faire visiter « les incontournables » de Berlin, en juillet 2018, aucun des guides consultés, ni sur papier ni en ligne, ne faisaient mention de ce mémorial où étaient détenus les prisonniers politiques, à Berlin Est, entre 1945 et 1989, sous un régime terrible de torture physique et surtout psychique.
Ce sont, raconte Daniel Kehlmann, d’anciens détenus qui vous guident dans le bâtiment.
Ils ne savaient pas même qu’ils se trouvaient à Berlin: la prison n’était mentionnée sur aucune carte et on les y amenait en bus blindé, en faisant assez de tours et détours pour qu’ils aient perdu toute notion de lieu et de distance.
Jamais un détenu n’y était en contact, pas même visuel, avec un autre détenu. A tous on disait que désormais leur identité était « détenu numéro un« , comme si la prison n’était là que pour eux.
Tout autour se trouvaient – et se trouvent encore – les blocs d’appartements où vivaient les geôliers et les autres membres du personnel. Ils y vivent toujours, eux-mêmes ou leurs enfants.
Parfois, écrit Daniel Kehlmann, un de ces anciens agents de la DDR se mêle aux visiteurs et invective le guide, le traite de menteur, d’imposteur: tout ça tu l’as inventé! tu n’en as aucune preuve!
Au fil de la lecture on se demande jusqu’où ira « le pire »: être enfermé sans jamais voir la lumière du jour? la torture de la cellule où il est interdit de s’asseoir ou de s’allonger? les interminables interrogatoires?
Puis on lit que ce travail d’interrogateur s’apprenait dans une université spécialisée, à Potsdam, un cursus de quatre ans.
Ce qui veut dire, conclut Daniel Kehlman, qu’il y a en Allemagne, à des postes divers, des gens qui ont enseigné ou étudié à cette université et suivi cette formation.
Mais comme par hasard, tous les dossiers les concernant ont « disparu ».
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Le documentaire de la vidéo ci-dessus est basé sur l’œuvre autobiographique d’une ancienne détenue, Elisabeth Graul.