H comme Hohenschönhausen

X c’est l’inconnu

A Speyer, raconte le guide qui fait visiter la cathédrale, un artiste peintre a trouvé un moyen « chimique » – qu’il n’a pas nommé – un moyen qui a fait tomber à la renverse, bouche bée, l’Italie entière: il a réussi à trouver un procédé permettant d’enrouler comme un vulgaire tapis… une fresque.

Toutes les fresques monumentales qui ornaient les murs de la cathédrale et qui représentent la visite de Bernard de Clairvaux à Speyer ainsi que deux épisodes de la vie du pape Stéphane/Etienne Ier, ont été enroulées et « recollées » après la restauration du bâtiment, au cours du 20e siècle.

L’Adrienne aussi en est restée bouche bée et a évidemment voulu comprendre un peu mieux comment c’était possible.

L’homme s’appelle Otto Schultz, est restaurateur, et le procédé consiste à enduire les fresques d’un mélange de chaux et de caséine, puis d’y coller différentes couches de toile de lin, et ça devrait permettre de décoller la fresque du mur, de l’enrouler et – ce qui semble plus fort encore – de la dérouler par la suite et de la recoller sur un autre mur.

W comme wir schaffen das

Il pleuvait mais comme on était au 9 mai l’Adrienne avait décidé de ranger ses chaussures et de ne plus sortir qu’en sandales.

Elle est donc arrivée au rendez-vous les pieds trempés – et les chaussettes aussi, il faisait frisquet – puisque comme chacun sait, le parapluie ne protège que le haut du corps et qu’une petite pluie gentillette au moment où vous mettez le nez dehors se transforme illico en déluge.

Le mardi suivant, en passant devant la jardinerie elle se dit Tiens, c’est le moment de prendre quelques plants de haricots nains!

Malheureusement ils étaient si humides et si fragiles qu’elle les a portés à bout de bras, ou plutôt bras repliés, dans une caissette tenue contre le corps dans le vain espoir de protéger les petites plantes du fort vent du nord qu’il y avait ce jour-là.

Après deux kilomètres à pied elle ne s’étonne plus d’avoir mal aux bras ni que la gentille vendeuse avait eu cet air de commisération en la voyant sortir du magasin.

Le mot de Merkel semble fait pour l’Adrienne, Wir schaffen das! ça va aller, je vais y arriver!

Samedi dernier au petit magasin du coin elle voit des sacs de terreau, elle se dit que ce n’est pas loin de chez elle, que ce serait bien d’en avoir un, HOP wir schaffen das, mais juste après l’avoir soulevé, elle a dû appeler au secours 🙂

La jeune caissière est accourue, « moi je vais au fitness tous les jours » explique-t-elle et HOP! le jette dans un caddie que l’Adrienne a pu faire rouler jusque chez elle 🙂

***

Alors hier quand le guide du château de Schwetzingen a dit « Wir schaffen das! », l’Adrienne a bien rigolé 🙂

U comme Uhlans

L’Adrienne et l’Allemagne, ça n’a jamais été le grand amour, et en se demandant comment serait cette nouvelle expérience, après la peu concluante berlinoise de 2018, elle s’est souvenue de cette nouvelle de Maupassant, qu’elle lisait avec ses élèves à l’époque où elle donnait cours en 4e (la 3e, en France)

Bref, l’Adrienne se rend au pays des « denkers en dichters« , comme on l’appelait au 19e siècle, le pays des penseurs et des poètes, en espérant qu’à Mannheim et Heidelberg on est plus affable qu’à Berlin.

Ce qui ne sera pas fort difficile 😉

T comme train

Cinq ans après la triste expérience des trains allemands, l’Adrienne va retenter le coup: demain elle monte dans le train pour Mannheim avec changement de correspondance à Cologne, autant dire que c’est de l’optimisme pur 🙂

Comme il n’y aura ni sa mère, ni Monsieur Neveu, elle n’a qu’à se préoccuper d’elle-même, c’est dire que le souci est bien petit.

Mais pourquoi diable aller à Mannheim, vous demandez-vous.

Et bien, c’est fort simple, pour visiter Heidelberg et assister à quelques concerts d’un festival de musique.

Voilà voilà.

Le plus périlleux sera le retour, et qu’à Bruxelles le dernier train en direction sa petite ville soit parti depuis longtemps.

Ce qui ne manquera pas d’arriver 😉

H comme histoire familiale

Le 10 mai 1940, comme bon nombre de Belges, les quatre futurs grands-parents de l’Adrienne étaient prêts à se jeter sur les routes en direction de la France.

Côté paternel, à la chapellerie, chacun était paré : les deux gamins portaient fièrement leur petit sac à dos de scout et le plus jeune se trouvait investi de la mission de confiance, le transport du pique-nique. Du pain, du saucisson.

Prêts à partir à pied pour l’aventure.

Mais au dernier moment, alors qu’ils étaient déjà tout harnachés au seuil de la porte, le père a changé d’avis : tous ces pauvres gens qui remontaient sa rue en direction du sud avaient l’air d’être déjà en bout de course, exténués et hagards. Ce n’étaient plus les belles voitures du début, ni les attelages, mais des charrettes à bras et de tristes baluchons. Comme le leur.

Alors il est rentré et a déclaré qu’ils resteraient là, finalement.

C’est le gamin au saucisson qui en a été le plus déçu.
Il avait 12 ans.

De l’autre côté de la ville, chez grand-mère Adrienne, on ne cessait de peser le pour et le contre : en fait, grand-père était pour, grand-mère était contre. Elle s’imaginait la soldatesque allemande dans sa maison et cette idée lui était intolérable :

– Il n’est pas question, déclara-t-elle finalement, il n’est pas question que je leur laisse ma machine à coudre toute neuve !

Une Singer qui venait précisément des usines berlinoises.

C’est ainsi que des deux côtés de la famille de l’Adrienne on a continué à faire ce qu’on faisait très bien depuis des siècles : ne pas quitter la ville où on était né.

***

écrit pour le Défi du samedi n°697, où Walrus proposait le mot ‘nomade‘. Merci à lui!

La Singer, la suite de son histoire et sa photo sont dans ce billet de 2015.

7 premières phrases

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Je suis convoquée. Jeudi à dix heures précises.

On me convoque de plus en plus souvent: mardi à dix heures précises, samedi à dix heures précises, mercredi ou lundi, à croire que les années ne sont qu’une semaine. Je n’en suis pas moins étonnée que l’hiver, après cette fin d’été, revienne bientôt.

Sur le chemin qui mène au tramway, les buissons aux baies blanches se remettent à pendre entre les palissades. Comme des boutons de nacre qui seraient cousus en bas, peut-être jusque dans la terre, ou comme des boulettes de pain. Ces baies sont bien trop petites pour être des têtes d’oiseaux blancs détournant le bec, mais je ne peux m’empêcher de penser à des têtes d’oiseaux blancs.

Herta Müller, La convocation, Métailié, 2001, p.7 (incipit), traduit de l’allemand par Claire de Oliveira.

***

On ne peut pas dire que l’Adrienne soit une rapide: dix ans déjà que Herta Müller a obtenu le prix Nobel et voilà le premier livre qu’elle lit de cet auteur 🙂

Née en 1953 en Roumanie – dans la minorité germanophone de la région de Timișoara (le Banat n’est roumain que depuis 1918) – où elle a vécu jusqu’en 1987, donc deux ans avant la fin du régime de Nicolae Ceaușescu, Herta Müller se trouve entre deux cultures et deux langues, le roumain et l’allemand.

L’histoire de La Convocation est presque totalement exempte de références à quelque pays, région ou ville que ce soit, mais on reconnaît la Roumanie à des tas de petits détails, comme ce « baisemain des plus experts, du bon vieux temps de la monarchie, à sec et en douceur, au beau milieu de la main » (p.56) et les hommes qui se soûlent à l’eau-de-vie de prune (la țuică), le seul produit disponible en abondance dans un pays qui manque de tout.

Au travers de la narratrice convoquée pour la énième fois chez le commandant Albu, en suivant son trajet en tramway et tout son passé qui défile en pensée, on ressent l’angoisse d’une vie dans un régime totalitaire, où chacun espionne l’autre, une situation qui est d’autant plus oppressante qu’elle est sans issue: on ne peut échapper à la police ni s’échapper de ce pays ni améliorer sa situation personnelle, professionnelle ou financière.

Sa seule amie, Lilli, trahie par celui qui allait l’aider à rejoindre un pays voisin, est tuée par un soldat au passage de la frontière.

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image de couverture et info ici.

article de La libre Belgique ici.

C comme communications

DSCI7571

Parmi les affiches exposées à la Villa Empain pour l’expo Flamboyant, il y a celle-ci, réalisée en 1930 par Léo Marfurt pour les Chemins de fer belges. (1)

Vous devinez sans doute ce qui a tout de suite fait rêver l’Adrienne: pouvoir aller d’Ostende à Istanbul, confortablement installée dans un train direct. Avec couchettes et wagon-restaurant.

C’est ce même train – en tout cas cette même ligne – qu’emprunte Stefan Zweig le premier août 1914 pour rentrer chez lui, au moment de la déclaration de guerre. Il monte à Ostende, traverse l’Allemagne, descend à Vienne. 

Ostende, la plage et la mer: contre l’alignement blanc des villas vient se blottir l’infiniment bleu, onde et azur. Entre les deux, multicolore, le tourbillon paisible d’une foule délassée, qui va et vient pour se voir, s’éprouver dans l’air clair et transparent, pour jouir de tout, l’azur et la mer, le luxe et la beauté, l’opulence et le repos. Mais depuis des jours il n’est plus possible de s’y mêler. La journée tout entière est soudain devenue fiévreuse, que l’on passe à attendre, attendre, jusqu’à ce qu’à midi les journaux arrivent, les nouvelles de Paris, du monde. […] On empoigne le journal, on le feuillette, résistant au vent, pour saisir les nouvelles. Les nouvelles seulement! Car dans ces journaux français, il est impossible de lire le reste, cela fait trop mal, ne suscite qu’énervement ou aigreur. Impossible de lire que l’Autriche veut violenter le monde slave, que l’Allemagne, cette brute, a soif de guerre: on ne peut plus lire cela. Cent fois elles nous ont fait sourire, les rodomontades de Paris ou du reste du monde, mais aujourd’hui, en cette heure cruciale, elles deviennent brûlantes, vous embrasent les lèvres, incapables de répondre à la parole imprimée. Tout d’un coup, le français, la langue que l’on a servie au fil des ans par amour et par goût, semble soudain prendre une résonance hostile. On se sent cerné, épié, pris dans un écheveau de contrevérités et de hargne, et l’on sent qu’il n’est qu’une chose qui, désormais, puisse nous délivrer, la fuite, le retour en Autriche.

La fin d’une époque, bien décrite dans ce premier chapitre Retour en Autriche, 1er août 1914 in Stefan Zweig, Seuls les vivants créent le monde, éd. Laffont 2018, traduction de David Sanson. L’extrait cité se trouve p.27-28.

(1) Pour un aperçu de ses affiches voir https://www.ecosia.org/images?q=l%C3%A9o+marfurt

R comme Roth

roth

A défaut de pouvoir y aller cet été, on peut lire les merveilleux reportages qu’en a faits Joseph Roth, de ces « villes blanches » du midi de la France.

Même si on ne les a trouvés que dans une traduction en néerlandais et qu’il peut sembler un peu bête de traduire en français une traduction de l’allemand en néerlandais, tant pis on le fait 🙂

Zal de wereld er ooit uitzien als Avignon? Hoe dom is de angst van bepaalde staten, zelfs als ze Europees gezind zijn, dat de ‘eigen aard’ verloren zou gaan en dat de kleurrijke mensheid één grijze soep zou worden! Maar mensen zijn geen kleuren, en de wereld is geen schilderspalet! Hoe meer vermenging, hoe sterker de eigen aard! Ik zal deze prachtige wereld niet meer meemaken, waarin iedere mens het geheel in zich draagt […] Dan bereiken we het hoogste stadium van de humanité. En humanité is de cultuur van de Provence, van wie de grote dichter Mistral ooit verbaasd antwoordde op de vraag van een geleerde welke rassen in dit deel van zijn land wonen: ‘Rassen? Maar er is maar één zon!’ (p.57)

Est-ce que le monde un jour ressemblera à Avignon? Quelle bêtise, de la part de certains Etats, même de ceux qui sont favorables à l’Europe, quelle bêtise cette angoisse de perdre la ‘propre identité’, cette angoisse de voir l’humanité si diverse devenir une masse grise! Les gens ne sont pas des couleurs et le monde n’est pas une palette de peintre! Plus grand le mélange, plus forte l’identité! Je ne verrai pas ce monde merveilleux dans lequel chacun porte en soi la totalité […] mais c’est alors que nous aurons atteint le summum de l’humanité. L’humanité, c’est la culture de la Provence, dont le grand poète Mistral a dit un jour, étonné par la question d’un savant qui voulait savoir quelles races habitaient cette région de son pays: « Races? Il n’y a qu’un seul soleil! »

(traduction de l’Adrienne)

source de la photo ici et bio de Joseph Roth (en français) ici.

Stupeur et tremblements

18-07-21 (4)

Vingt-huit ans, deux mois et vingt-sept jours, c’est le temps qu’il a fallu entre le moment où le mur a été installé, le 13 août 1961, et celui où il est devenu obsolète, la nuit du 9 novembre 1989. Les Allemands ont fait le calcul 🙂

Ils ont aussi calculé qu’entre-temps il s’était de nouveau passé vingt-huit ans, deux mois et vingt-sept jours, raison pour laquelle une expo a été organisée, rassemblant une photo par année.

On se souvient et on commémore, se dit l’Adrienne, c’est bien, mais est-ce que nous allons vers un monde meilleur? Ça n’en prend pas la tournure, les journaux ce matin font peur avec – entre autres choses – des nouvelles concernant l’augmentation de l’usage de « troupes mercenaires » un peu partout dans le monde.

Quant à savoir si on tire encore sur des enfants de deux ans réfugiés dans les bras de leur mère, il ne faut même pas poser la question…

info et photos ici – photo prise le long de la East Side Galery, ce 21 juillet