Ai-je le droit d’oublier le nom de mes anciens élèves? d’oublier quelles études supérieures ils ont entreprises, abandonnées ou réussies? d’oublier s’ils sont encore en couple ou déjà divorcés? parents d’une fille ou d’un garçon?
Depuis que j’ai beaucoup de rides et quelques cheveux gris, il me plaît d’exagérer ma vieillesse: elle a bon dos.
– Tu m’excuseras si je ne me souviens pas de ce que tu as fait comme études, avec l’âge ma mémoire ne s’arrange pas…
Alors ils me le pardonnent bien volontiers:
– Ah! mais c’est normal, ça vous fait tout de même une centaine d’élèves par an, vous ne pouvez pas tout retenir!
J’ai donc le droit d’oublier.
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Pour d’autres choses, il me semble que j’ai le devoir d’oublier. Oublier l’offense de celui qui s’en repent. Oublier le mal fait involontairement. Oublier leurs erreurs de jeunesse, leurs maladresses, leurs fautes d’inattention.
C’est assez facile à faire, contrairement à ce que pensent de nombreuses personnes:
– Vous vous souvenez sûrement de moi, Madame! Avec toutes les bêtises que j’ai faites!
Et bien non. Je peux très bien me souvenir de l’enfant sage et avoir complètement oublié le garnement. Il n’y a pas de règle pour cet oubli-là, pas de loi, ou alors de très mystérieuses relations de cause à effet.
***
Mais surtout, il y a tant de choses pour lesquelles j’ai le désir d’oublier. Oublier les blessures d’enfance. Oublier les mots qui font mal. Oublier.
Il n’y a rien de plus difficile.

mais quand je suis à Rome
il y a une chose que je n’oublie jamais
c’est d’entrer au Panthéon
et d’y prendre cette photo-là

Le droit d’oublier
est le sujet de la semaine
aux Impromptus littéraires
(mais je n’ai pas envoyé ma participation)