Stupeur et tremblements

95ème Devoir de Lakevio du Goût

aldo_balding 4.jpg

Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuiller
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s’est levé
Il a mis
Son chapeau sur sa tête
Il a mis
Son manteau de pluie
Parce qu’il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j’ai pris
Ma tête dans ma main
Et j’ai pleuré.

Jacques Prévert, Déjeuner du matin, in Paroles, 1946

***

Merci à Monsieur le Goût pour le tableau et la consigne:

Il s’en va. Mais où ? Pourquoi ?

F comme Folon

Demain, dès l’aube, à l’heure où bleuit la campagne, je partirai. 
Je prendrai le chemin des trois collines.
Je garderai l’œil bien ouvert sur cette terre bleue comme une orange.

Je marcherai vers toi, qui as toutes les joies solaires, tout le soleil sur la terre, sur les chemins de ta beauté.

Et quand j’arriverai, je mettrai dans la cage mon chapeau fatigué, pour que l’oiseau puisse vivre libre et chanter.

***

écrit pour Mil et Une qui propose ce tableau et ces consignes: Jean-Michel Folonclic Sujet 35/2019 – du 05 au 12/10 Le mot à insérer facultativement est : AUBE Les textes, avec titre et signature, sont à envoyer à notre adresse :

 les40voleurs(at)laposte.net

G comme Goût des autres

devoir de Lakevio du Gout.jpg

Elle a mis la boule à thé
Dans la théière
Elle y a versé
L’eau chaude
Elle a regardé
L’horloge
Trois minutes
Pour le thé
Pas une de plus
Elle a posé la théière
Sur un plateau
Avec un œuf mollet
Tout chaud
Elle a choisi
Deux belles mandarines
Elle a sorti
Le lait du frigo
Puis s’est assise
Prise d’un doute

Et tout en surveillant
Les aiguilles de la montre
Le menton appuyé sur la paume
Et le coude appuyé sur le genou
Elle s’est mise à rire
Doucement

Il ne boit pas de thé!

***

Pour ce devoir n°7 de Lakévio, le Goût propose: Comme Ron Hicks, qui l’a surprise, je me demande ce qui a attiré de façon si vive l’attention de cette jeune femme.
D’ici lundi j’aurai regardé autour d’elle et je vous dirai ce qu’elle a vu.
Et pensé…

Vous aurez vu les similitudes avec le Déjeuner du matin de Prévert, en version moins triste 🙂

T comme traduction

Le discours sur la paix

Vers la fin d’un discours extrêmement important
le grand homme d’État trébuchant
sur une belle phrase creuse
tombe dedans
et désemparé la bouche grande ouverte
haletant
montre les dents
et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements
met à vif le nerf de la guerre
la délicate question d’argent. 


Jacques Prévert, in Paroles, 1946

tintin paix.jpg

source du dessin

El discurso sobre la paz

Hacia el final de un discurso de extrema importancia
el gran hombre de Estado tropieza
con una bella frase hueca
cae dentro
y desesperado, la boca abierta,
jadeante
enseña los dientes
y la caries dental de su s pacíficos razonamientos
pone en evidencia el nervio de la guerra
el delicado asunto del dinero.

traduction trouvée chez Colo (merci Colo!)

Toespraak over de vrede

Tegen het einde van een uiterst belangrijke toespraak
struikelt de grote staatsman
over een mooie holle frase
valt erin
en radeloos met wijdopen mond
hijgend
toont de tanden
en het tandbederf van zijn vreedzame redeneringen
legt de oorlogszenuw bloot
de gevoelige geldkwestie. 
traduction de l'Adrienne

 

poésie,poème,espagnol,traduction

source de l’image

 

U comme un, deux, trois… un inventaire à la Prévert

Un ordi  
deux boites à mail  
trois commentaires 
quatre réponses 
un soleil qui se lève 
des autos dans la rue 

un café 

une douzaine de blogs à visiter 
un volet qu’on relève à côté. 
une maison qui tremble 
six camions sont passés 
une porte avec son paillasson
un petit garçon crie 

un autre café 

un piano sur lequel on pianote 
la fleur rouge qui fleurit depuis mai 
deux amoureux qui passent 
un facteur une chaise trois enveloppes 
un voisin revient du marché 
une araignée 
une tendinite 
une souris remisée dans un tiroir 

un autre café 

une fille indigne deux passantes trois vélos 
un téléphone 
deux messages une tante Jeanne 
une Mater dolorosa trois cousins sportifs deux chats maigres 
un talon d’Achille 
un canapé pour la lecture 
un buffet de grand-mère deux buffets de grand-mère 
un tiroir plein de couverts
une vaisselle faite une maison rangée 

une pelote de laine deux épingles de sûreté  
un jour de félicité

cinq ou six cafés 

un petit garçon qui entre à l’école en riant 
un petit garçon qui sort de l’école en pleurant 
une assiette de pâtes 
deux mandarines 
cinq noix 
un paysage avec beaucoup d’herbe verte dedans
dix vaches qui n’en finissent pas de brouter 
un taureau trop jeune 
deux belles figues sur le figuier et une salade à la feta 
un soleil qui se couche déjà 
un grand verre d’eau 
un vin blanc sec 
une tablette de chocolat 
deux séries italiennes 
une nuit trente-deux positions 

et…

encore deux cafés.

(passer la journée à la maison, quand on ne travaille plus qu’à mi-temps, à la façon de l’Inventaire de Jacques Prévert, in Paroles, 1946)

F comme fleuve

 bricabook179.jpg

 http://www.bricabook.fr/2015/06/atelier-decriture-179e/

Il a ce pouvoir, le fleuve, de refléter nos sentiments. 

D’être « l’onde si lasse » de celui qui le regarde alors qu’il souffre d’un chagrin d’amour.

De refléter nos pensées.

La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil 
Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil 
Faisait évaporer à la fois sur les grèves 
L’eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves !

De nous refléter.

Des fois au printemps elle s’arrête
et vous regarde comme un miroir
et elle pleure si vous pleurez
ou sourit pour vous consoler
et toujours elle éclate de rire
quand arrive le soleil d’été

***

écrit pour Leiloona
que je remercie
ainsi que Guillaume Apollinaire, Victor Hugo et Jacques Prévert

Cool

I comme imitation

Don’t imitate!

Just be you

dit un T-shirt blanc imprimé de noir

tout comme la cinquantaine d’autres

qui pendent à côté

et les quelques milliers

répartis sur les diverses succursales

de par le monde.

***

Alors je conclus

que même s’il ne coûte que 10 €

pour être moi

et n’imiter personne

je ne l’achèterai pas.

 vie quotidienne,ça se passe comme ça

 « Don’t imitate!

Just be you »

s’est dit Michaël Borremans

et il a décidé

de mettre le képi dans la cage

et de boutonner sa vareuse

dans le dos

(photo prise au Palais Royal de Bruxelles)

L comme livres

J’ai trouvé dans ma bibliothèque
de gros volumes cartonnés
portant la signature du grand-oncle Aimé.

J’ai trouvé dans ma bibliothèque
recouverts d’un vieux papier vert
les livres de classe de mon beau-père.

J’ai trouvé dans ma bibliothèque
dans un manuel de bricolage
une photo de notre mariage.

Les romans d’amour hérités de tante Simonne
Les Comtesse de Ségur reçus de Marie-Louise
Les Jules Verne cadeaux de madame Henriette

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 Les grands classiques, les lectures imposées, une collection de romans pour la jeunesse, les recueils de poèmes, les anthologies historiques, tout le théâtre de Ghelderode et d’Ionesco, de Racine et de Molière, toute la poésie du 16e siècle, de Verlaine et de Rimbaud.

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Jacques Prévert et Jacques le fataliste. François Mauriac et François le Champi. Madame de la Fayette et madame Bovary.

Tout emballer, tout répertorier, tout déménager, tout reclasser, tout replacer.

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Pourtant je ne suis pas bibliothécaire Clin d'œil

***

texte écrit pour les Croqueurs de mots n°127
http://c-estenecrivantqu-ondevient.hautetfort.com/archive/2014/06/30/defi-n-126-5383002.html

 Merci à Enriqueta de m’avoir prévenue!

Et bonne fête nationale aux amis français Sourire

C comme chanson du vitrier

Comme c’est beau
ce qu’on peut voir comme ça
à travers le sable à travers le verre
à travers les carreaux
tenez regardez par exemple
comme c’est beau
cette jeune femme
là en face
qui accueille un petit garçon
pour le mener en classe
pour lui apprendre à lire et à écrire
pour qu’il puisse un jour
aider sa maman
qui reçoit des tas de papiers
qu’elle ne comprend pas
qui doit faire très attention
en faisant ses courses
de ne pas rapporter
des rognons de porc au lieu d’agneau
parce qu’elle n’ose pas toujours demander
aux autres clients
alors voir son petit garçon
qui épelle ses premiers mots
ça la rend si fière
et heureuse pour le reste de la journée.

(à la manière de Jacques Prévert, Chanson du vitrier, Histoires et d’autres histoires, 1963)

***

écrit pour le Défi du Samedi n° 291