M comme Maurice

Elle ne savait pas, la petite fille, que quand son grand-père prenait un air terrible pour mimer la scène en déclamant

[…] l’homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu’il étreignait encore […]

elle ne savait ni qu’il récitait du Victor Hugo, ni ce qu’était un maure.

Ni que ce mot avait un rapport avec le prénom du grand-père 😉

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voilà un poème qui a déjà bien servi 🙂 et une photo de même où l’on voit clairement que les quatre comparses allaient se fournir en casquette-d’été-pour-la-plage dans la même maison de confiance 😉

22 rencontres (4.18)

Omar est heureux, très heureux, et il n’a pas peur de le dire, « ik ben super blij!« , alors bien sûr Madame aussi est heureuse et applaudit à grands cris, comme il se doit, même si elle n’est pas le cercle de famille.

– ça va faire deux ans que je suis marié, rappelle-t-il à Madame, qui n’a pas la mémoire des chiffres, et on attend notre premier bébé.

« ik ben super blij!« 

Alors pendant un moment on est franchement heureux.

Pendant un moment on oublie le sombre avenir et le sombre présent.

Ni stupeur ni tremblements

Ni stupeur ni tremblements – même si les sujets n’en manquent pas, comme chacun sait – mais de l’émerveillement et de la gratitude pour les roses de septembre et pour cet être humain d’exception qu’était Julos Beaucarne.
Puisqu’il faut désormais parler de lui au passé.

Mini-Adrienne n’avait qu’une dizaine d’années, ne connaissait de Victor Hugo qu’Après la bataille, que son grand-père avait appris lors de « ses années d’université », comme il disait par plaisanterie, dans un village wallon tout proche, alors que les écoles primaires flamandes de la ville étaient fermées par les Allemands, pendant la guerre de 14-18.
Il le récitait encore par cœur cinquante ans plus tard.

Elle ne connaissait pas non plus Julos Beaucarne.
Mais elle a tout de suite adoré cette chanson:

Photo prise à Alden-Biesen le week-end dernier, le jour de sa mort.

B comme bonne blague

Le testament français - Andreï Makine - Ebooks - Furet du Nord

Je ne me lassais pas de revoir les séquences pleines d’images qu’enregistrait, en grand désordre il est vrai, ma mémoire. Comme celle où Victor Hugo, patriarche grisonnant et mélancolique, rencontrait sous le dais d’un parc Leconte de Lisle. « Savez-vous à quoi j’étais en train de penser? » demandait le patriarche. Et devant l’embarras de son interlocuteur, il déclarait avec emphase: « Je pensais à ce que je dirai à Dieu quand, très bientôt peut-être, je rejoindrai son royaume… » C’est alors que Leconte de Lisle, ironique et respectueux à la fois, affirmait avec conviction: « Oh, vous lui direz: ‘Cher confrère…’  »

Andreï Makine, Le testament français, Mercure de France, 1995, p.140

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lire des extraits ici – info sur le site de Gallimard ici – entretien avec l’auteur iciTestament français ou testament russe? ici (bonne question pour ceux qui ont lu le livre jusqu’à la fin 😉 )

M comme maillot

devoir de Lakvio du Goût_43.jpg

Elle a pris le premier train du matin. Avec de trop nombreux bagages pour trois jours de villégiature à la mer et aux pieds des chaussures dont elle sait pourtant qu’elles lui font mal.

Mais ce n’est pas à quarante ans qu’elle va abandonner son souci d’élégance. Voyez la savante coiffure crantée qui a coûté une grosse demi-heure d’efforts à sa coiffeuse, hier soir, et qui l’a empêchée de bien dormir cette nuit, de peur de l’abîmer!

Quand elle est arrivée à l’hôtel, elle était épuisée par le voyage. Deux correspondances. Deux lourdes valises. Et quelle idée de s’être chargée d’un volume si épais! Comme si elle pouvait en venir à bout en trois jours! Il doit bien peser un kilo, lui aussi. Deux mille cinq cent quatre-vint-dix-huit pages…

Enfilons vite ce maillot, se dit-elle, et allons à la plage.

Il ne fallait même pas ouvrir les valises: elle l’avait rangé dans une poche latérale.

Et pourtant…

Et pourtant, la plage, elle ne l’a pas vue.

Car au moment où elle était enfin prête, dans son maillot neuf, l’orage, un de ces gros orages d’été a éclaté.

Alors elle s’est affalée tristement sur le bord du lit… allait-elle rester là, à lire les Misérables, ou bousiller sa belle coiffure en sortant se baigner sous la pluie?

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Texte écrit pour le 43e devoir de Lakevio du Goût, que je remercie, selon les consignes suivantes:

J’aime Hopper et son génie de l’étrangeté de la banalité. « Hotel Room » me le démontre et me pose la question : Que fait-elle donc, si peu vêtue, assise l’air si peu intéressé par son livre ? J’entrevois plusieurs cas. Et vous ? Qu’en aurez-vous dit lundi ?

Elle m’a fait penser à ces belles dames bien coiffées qui réussissent à nager en gardant la tête parfaitement au-dessus de l’eau et se mouillent à peine la nuque pour ne pas gâcher leur mise en plis 🙂

M comme maillot et M comme misérable(s) 😉

 

F comme Folon

Demain, dès l’aube, à l’heure où bleuit la campagne, je partirai. 
Je prendrai le chemin des trois collines.
Je garderai l’œil bien ouvert sur cette terre bleue comme une orange.

Je marcherai vers toi, qui as toutes les joies solaires, tout le soleil sur la terre, sur les chemins de ta beauté.

Et quand j’arriverai, je mettrai dans la cage mon chapeau fatigué, pour que l’oiseau puisse vivre libre et chanter.

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écrit pour Mil et Une qui propose ce tableau et ces consignes: Jean-Michel Folonclic Sujet 35/2019 – du 05 au 12/10 Le mot à insérer facultativement est : AUBE Les textes, avec titre et signature, sont à envoyer à notre adresse :

 les40voleurs(at)laposte.net

B comme belle au bois

Je ne songeais pas à Rose ;
Rose au bois vint avec moi ;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.

J’étais froid comme les marbres ;
Je marchais à pas distraits ;
Je parlais des fleurs, des arbres
Son œil semblait dire: « Après ? »

La rosée offrait ses perles,
Le taillis ses parasols ;
J’allais ; j’écoutais les merles,
Et Rose les rossignols.

Moi, seize ans, et l’air morose ;
Elle, vingt ; ses yeux brillaient.
Les rossignols chantaient Rose
Et les merles me sifflaient.

Rose, droite sur ses hanches,
Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux branches
Je ne vis pas son bras blanc.

Une eau courait, fraîche et creuse,
Sur les mousses de velours ;
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds.

Rose défit sa chaussure,
Et mit, d’un air ingénu,
Son petit pied dans l’eau pure
Je ne vis pas son pied nu.

Je ne savais que lui dire ;
Je la suivais dans le bois,
La voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.

Je ne vis qu’elle était belle
Qu’en sortant des grands bois sourds.
« Soit ; n’y pensons plus ! » dit-elle.
Depuis, j’y pense toujours. 

Victor Hugo – Vieille chanson du jeune temps, in Les Contemplations

Peinture de Peder Monsted et consignes chez Lakévio, que je remercie: Romance. Fraîche ou rance. Frais ombrages, amers ou doux secrets. On se découvre, on se frôle, les baisers se donnent ou se volent. En route pour l’été. Ou pour l’éternité… A vous de composer.

PS : Phrase à inclure dans votre récit : « Une absence totale d’humour rend la vie impossible. » (tirée de Chambre d’hôtel de Gabrielle Sidonie Colette.)

Le poème de Victor Hugo se suffit à lui-même: tout y est, même l’absence de cette pointe d’humour qui rend la vie plus légère… 🙂

C comme chantons!

Que faisait-on, avant internet, quand on avait un refrain en tête et qu’on voulait retrouver toute la chanson? Quand on se souvenait d’une récitation de grand-père sans connaître le nom du poète?

Aujourd’hui on tapote “Brassens + jupon” ou “quelque arabesque folle” et voilà que de cet océan de savoirs surgissent toutes les chansons où l’ami Georges a tâté le jupon d’une belle et près de sept cents références à papa Victor dissolvant ses larmes dans des poèmes à sa Léopoldine.

Après, évidemment, on devient complètement accro et on passe des heures à lire ce que Brel dit de Brassens (vous le trouverez en tapotant “Brassens + bigoudi”), ce que les journalistes ont écrit sur Brassens (tapotez “Brassens + écorché”, oui les journalistes écrivent surtout en clichés).

Et – vous l’aurez deviné – si vous voulez tout savoir sur sa vie privée, vous tapez “Brassens + impasse”…

***

En même temps, ça vous apprend que ‘jupon’ se dit ‘las enaguas’ en espagnol… qui sait à quoi ça pourra vous être utile, un jour?

🙂

Texte écrit pour « Ecriture créative ». Les 10 mots imposés sont les suivants : bigoudis – internet – refrain – jupon – arabesque – océan – dissoudre – écorché – impasse – sept. Vous pouvez les inclure dans un poème, une prose, un texte court, un texte long, c’est comme vous le sentez ! L’idée est de vous laisser guider par ces mots, que vous utiliserez dans l’ordre ou le désordre, au pluriel ou au singulier, conjugués ou non.

 

Premier agenda ironique

Je suis le ténébreux miroir inconsolé
Ma batterie est morte et je suis constellé 

de taches de café et d’autres petits reliefs de nourriture: c’est assise devant moi qu’elle boit et qu’elle mange. Car 

Elle a pris ce pli depuis des temps très lointains
De venir m’allumer très tôt chaque matin 

et de prendre tranquillement son petit déjeuner tout en me tapotant le clavier. Quand c’est l’heure de partir au travail, je sens bien qu’elle me quitte à regret. Elle me rallume dès son retour, nous voilà repartis pour des heures, 

Voici des O, des I, des E, des U, des A,
Qu’elle a usés avec ses ongles et ses doigts 

Elle m’emporte partout où elle va, j’ai vu l’Irlande et l’Italie, la mer du Nord aussi. 

Ainsi, toujours poussé vers de nouveaux rivages,
Je suis très heureux d’avoir fait de beaux voyages. 

Depuis quelque temps, je montre des signes de fatigue, nous luttons ensemble contre mon inexorable obsolescence programmée et je crains qu’elle ne pense bientôt à me remplacer. Même si 

Il le faut avouer, l’amour est un grand maître.
Ce qu’on ne fut jamais, il vous enseigne à l’être. 

C’est ainsi qu’elle a réussi à me tirer d’affaire, déjà une fois ou deux, et je lui suis reconnaissante d’avoir pu prolonger mon temps de vie, notre temps de vie commune, bien que nous ayons parfois nos nuages… 

Mon plus grand ennemi se rencontre en moi-même
Je vis, je meurs, je me sens l’âme plus qu’humaine. 

*** 

merci à Gérard de Nerval, Victor Hugo, Rimbaud, Verlaine, Molière, Racine, Louise Labé, Lamartine, Du Bellay, à mon ordinateur bien-aimé et à l’Agenda ironique de juin 

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E comme effroyable et extraordinaire

Cependant le soir vient, le vent tombe, les prés, les buissons et les arbres se taisent, on n’entend plus que le bruit de l’eau. L’intérieur des maisons s’éclaire vaguement ; les objets s’effacent comme dans une fumée ; les voyageurs bâillent à qui mieux mieux dans la voiture en disant : nous serons à Liège dans une heure. C’est dans ce moment-là que le paysage prend tout à coup un aspect extraordinaire. Là-bas, dans les futaies, au pied des collines brunes et velues de l’occident, deux rondes prunelles de feu éclatent et resplendissent comme des yeux de tigre. Ici, au bord de la route, voici un effrayant chandelier de quatre-vingts pieds de haut qui flambe dans le paysage et qui jette sur les rochers, les forêts et les ravins, des réverbérations sinistres. Plus loin, à l’entrée de cette vallée enfouie dans l’ombre, il y a une gueule pleine de braise qui s’ouvre et se ferme brusquement et d’où sort par instants avec d’affreux hoquets une langue de flamme. 

Ce sont les usines qui s’allument. 

Quand on a passé le lieu appelé la Petite-Flémalle, la chose devient inexprimable et vraiment magnifique. Toute la vallée semble trouée de cratères en éruption. Quelques-uns dégorgent derrière les taillis des tourbillons de vapeur écarlate étoilée d’étincelles ; d’autres dessinent lugubrement sur un fond rouge la noire silhouette des villages ; ailleurs les flammes apparaissent à travers les crevasses d’un groupe d’édifices. On croirait qu’une armée ennemie vient de traverser le pays, et que vingt bourgs mis à sac vous offrent à la fois dans cette nuit ténébreuse tous les aspects et toutes les phases de l’incendie, ceux-là embrasés, ceux-ci fumants, les autres flamboyants. 

Ce spectacle de guerre est donné par la paix ; cette copie effroyable de la dévastation est faite par l’industrie. Vous avez tout simplement là sous les yeux les hauts fourneaux de M Cockerill. 

***

Voilà comment Victor Hugo, qui traverse la Belgique en 1840, décrit dans une lettre à sa famille le spectacle des hauts fourneaux… 

Extrait cité dans La Belgique en toutes lettres, tome 3, Tranches de vie, éd. Luc Pire/Espace Nord, 2008, pages 146-147.

On peut trouver ici un extrait encore un brin plus long: 

http://expositions.bnf.fr/hugo/pedago/dossiers/voya/textes/44.htm

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Spectacle extraordinaire pour Hugo mais vie effroyable pour les travailleurs…

Constantin Meunier, Le puddleur, 1887, source et autres oeuvres ici